Bulletin du hcf – N°415 – 06/93 – Page 6
Grand Prix du Disque 1993
Ces interprétations.enregistrées les 16 et 17 juillet 1992 à Paris, font entendre Carrie Smith avec l'orchestre qui l'accompagnait dans sa tournée à cette époque : Al Pazant (tp), Ed Pazant (as), Benny Russell (ts), Bross Townsend (p), John Moody (b) et Bernard " Pretty " Purdie (d).
Dès le début de June night qui ouvre le disque, on est immédiatement saisi par l'extraordinaire timing de la voix débordante d'énergie de Carrie Smith qui, là, opère pourtant en douceur en dégageant un swing fantastique. On admire également (et on va l'admirer tout au long de l'album) la vigilance et la pertinence de l'accompagnement de Bross Townsend, cependant que Bernard Purdie fournit une robuste pulsation de batterie. De même, dans Under the bed et dans Make our love gone down, pris sur des tempos moyens dilatants, le timing du vocal produit un swing irrésistible. Et avec quelle puissance contenue elle interprète Singing the blues !
Days Like that again est une ballade mais pas question de roucoulades sur ce tempo lent. Le chant de Carrie, au vibrato émouvant, qui se déroule sur un fond orchestral bien venu, reste d'une tonicité surprenante. Dans le même registre, She's funny that way, hommage à Billie Holiday, déborde de lyrisme mais sans la moindre trace de mièvrerie et If you were mine est plein de tendresse ironique. Quant à Mood indigo, voilà une formidable version, interprétée avec une délicatesse, une subtilité, un feeling si profonds (avec Bross Townsend exactement à l'unisson) que ce standard se trouve totalement renouvelé . Répétons le : qui d'autre aurait pu accomplir cette performance ?
Enfin, Carrie Smith swingue le blues sur tempo moyen avec un allant dévastateur dans See see rider enchaîné sur Got my moJo working (encore un domaine où personne ne l'approche). Dans Crédit card blues, en tempo semi-lent, le ton confidentiel de son chant ne peut dissimuler le dynamisme qui l'anime constamment. Une fois encore Bross Townsend, très en évidence, lui offre une superbe partie de piano, tout comme dans Smoke stack lightning, d'ailleurs. Voilà un autre sommet, en tempo lent cette fois, avec des inflexions vous immergeant au cœur du blues : une interprétation extrêmement poignante, dramatique, à compter parmi les chefs d'œuvre de Carrie Smith.
Dans ce disque elle chante d'un bout à l'autre. La section mélodique s'acquitte honorablement de sa tâche dans les nombreux ensembles et ses membres se manifestent fort peu en solo, heureusement car ils ne brillent guère dans les très rares chorus qui leur sont accordés mais qui passent inaperçus, éclipsés par la e de la reine Carrie Smith.
Vous aurez deviné que ce CD doit obligatoirement figurer dans la discothèque de tout amateur de jazz avisé.
A 84 ans, Stéphane Grappelli est toujours un des plus grands jazzmen en activité, toutes catégories confondues : sa technique, son inspiration, son swing, son humour musical sont toujours au sommet ! Et il est si profondément habité par la musique qu'il se trouve à l'aise aussi bien avec le piano de McCoy Tyner qu'avec le banjo et le tuba du " Five o'clock ".
Mais il est vrai qu'on préfère l'entendre dans un contexte aussi purement jazz que possible : et quel orchestre pouvait aussi bien lui convenir que celui de Claude Bolling ? De fait cet assemblage a donné des résultats étonnants : ce n'est pas une juxtaposition de vedettes, Grappelli venant prendre quelques solos dans un disque de Bolling -il y a eu coopération, intégration, mariage pour tout dire. Tantôt il expose le thème avec l'orchestre, tantôt il improvise accompagné par la section rythmique, seule, ou sur un fond arrangé, tantôt il brode par-dessus l'orchestre comme une clarinette pourrait le faire, tantôt il dialogue avec un soliste du groupe. " Première classe. Messieurs ", c'est ce qu'il s'est écrié à la fin de l'enregistrement de Blue skies spontanément (on le voit sur la vidéo).
Tous les arrangements sont originaux, la plupart des morceaux ne font d'ailleurs pas partie du répertoire habituel de l'orchestre et on trouve deux compositions nouvelles : Stéphane et De partout et d'ailleurs. Stéphane a l'art d'exposer les thèmes en faisant bien ressortir leur caractère, tout en leur imprimant sa personnalité par de petites modifications aussi imprévues que judicieuses : quant à ses improvisations, elles fusent avec la plus grande facilité, l'aisance, l'audace, l'agilité de ce violon ne cessent de nous ravir.
Outre Claude lui-même au piano, d'autres bons solistes de l'orchestre apparaissent : Cari Schlosser, André Paquinet, Jean Etève, Pierre Schirrer, Philippe Portejoie, Michel Delakian, Claude Tissendier. Le texte de pochette donne toutes indications utiles à ce sujet. Particulièrement réussi est Minor swing, magistralement adapté par Bolling : les deux chorus de Django ont été orchestrés pour les trois sections, saxos, trompettes et trombones; et vous ne savez plus si vous entendez du Reinhardt, du Bolling, ou encore un 3" génie, d'autant plus qu'un passage typiquement ellingtonien apparaît vers la fin. Cute n'est pas comme d'habitude consacré à une exhibition de batterie, mais donne lieu à un dialogue violon-flûte très bien venu, les sonorités des deux instruments s'alliant agréablement. Des morceaux en tempo lent, le meilleur est De partout et d'ailleurs, Lush life et Moon mist, très recherchés en orchestration, nous ont moins plu. Très bonne qualité de l'enregistrement. Un disque de première classe.
Disons tout d'abord qu'Arthur Elgort a superbement filmé Illinois Jacquet. La qualité de la prise de vue et de l'image, constamment remarquable, nous change de ces cassettes au contenu fait de bric et de broc.
Jacquet raconte brièvement son parcours musical, de sa naissance à Broussard, Louisiane à aujourd'hui où il se trouve à la tête de son big band, avec évocation de ses passages dans les orchestres Lionel Hampton, JATP, Count Basie. Le film montre notre grand saxophoniste dans sa vie quotidienne. S'apprêtant dans sa loge veillé par Carole, son ange gardien, préparant son instrument, circulant au volant de sa voiture, déambulant avec des amis, achetant un chapeau, participant a un trio vocal en compagnie d'Arnett Cobb et Buddy Tate, voyageant en bus pendant une tournée d'été en France, visitant les ateliers Selmer, etc.. Tout ceci parfaitement filmé et monté. On peut apprécier le soin avec lequel il met en place son orchestre et le fait répéter. Il ne s'agit pas d'une mise en scène pour les besoins du film, cela se passe vraiment de cette façon... sauf que cela dure beaucoup plus longtemps.
Bien entendu, on voit jouer Illinois Jacquet abondamment, au début au Blue Note Jazz Club de New York, en 1988, ou il interprète son fameux Blues from Louisiana qui, invariablement fait un malheur, et à la fin, au festival de Bayonne en 1990, pour un Flying home, qui inévitablement déclenche l'enthousiasme. Entre-temps, il est en vedette à de nombreuses reprises et dans diverses circonstances (notamment pour un joyeux On the sunny side of the street et un empoignant Ghost of a chance).
Pour illustrer certains propos, viennent s'intercaler quelques documents photographiques et aussi cinématographiques pendant que l'orchestre joue Stomping at the Savoy (notamment des séquences avec d'extraordinaires danseurs). De nombreux musiciens viennent témoigner et parler de l'importance de Jacquet : Wild Bill Davis, Lionel Hampton, Jonah Jones, Milt Hinton, Sonny Rollins, Dizzy, Harry Edison, Les Paul, Clark Terry, etc. Il est souvent question du solo de Flying home.
Nous tenons là un superbe document, durant l heure 20 sur un géant du jazz (il ne s'agit aucunement de la mise sur pellicule d'un concert). Comme on a affaire à un personnage exubérant, au contact direct, et que la qualité de l'image est remarquable, ce résultat exceptionnel ne pouvait qu'être couronné par le prix hcf de la cassette vidéo. A.V.
Rappelons que cette cassette est disponible chez Evy Distribution, 22 Champromery, F.78720 Dampierre. Téléphone : 01 34.61.09.92.