Arbors ARCD 19361
YOU'VE GOT TO BE MODERNISTIC, SWEET AND LOVELY, IN AUGUST AT ST. GERMAIN DES PRÉS, THE PEARLS, TEA FOR TWO, SWEET SMILE, INSTINCT OF CONSERVATION, RUSSIAN GREEK, SURPRISES, WALKING MY BABY BACK HOME, ANITRA'S DANCE, SIMPLY THE BLUES, TANGO SEVILLE, JUST YOU JUST ME, I GUESS I’LL HAVE TO CHANGE MY PLANS, SNEAKAWAY, PORTRAIT OF A PORTRAITIST, CAN'T WE BE FRIENDS, SKYLARK, KEEP OFF THE GRASS, FRANÇOIS, NOSTALGIC WALK.
Le Bulletin 569 d'avril dernier recommandait un CD Jazz Connaisseur de solos de piano par Louis Mazetier enregistrés en décembre 2002 mais dont la parution avait été retardée suite à divers contretemps. Voici que la marque Arbors publie maintenant un nouvel album de solos de Louis captés, comme les précédents, à l'église de Boswil, renommée par la qualité sonore des enregistrements qui en proviennent. Dans cette récente série (datant des 30 et 31 août 2007), Louis Mazetier, comme à son habitude, propose un répertoire presque totalement différent de celui de ses précédents albums, d'où un recueil riche en variété et en imprévu.
Bien évidemment, et heureusement, reste à l'honneur le 'stride' par lequel il se fit connaître et reconnaître comme un des plus prestigieux spécialistes actuels. Plutôt que de s'acharner sur les mêmes thèmes pour en livrer une énième version, Louis préfère en explorer de nouveaux. Moins confortable que de se cantonner dans la routine, mais plus enrichissant ! Il s'adresse à James P. Johnson d'approche subtile dans Keep off the grass et affronte la complexité de You've got to be modernistic pour offrir deux interprétations étourdissantes d'impétuosité et de brio. Deux autres maîtres ès 'stride' sont sollicités tout aussi magistralement : Willie Smith Le Lion dans Sneakaway et le terrible Donald Lambert dont Louis reprend Anitra's dance avec une exubérance époustouflante.
Le stride reste présent par exemple pour un appui discret au discours plein d'envolée de Walking my baby back home, ou au jeu ciselé à la Teddy Wilson sur I guess I’ll have to change my plans, ou pour un soutien direct à l'allégresse de Just you just me. Bien sûr, il faut aussi souligner l'exaltant passage en 'stride' de Tea for two, beau gage d'admiration adressé à Art Tatum. Par ailleurs, Louis Mazetier s'exprime également dans un élégant et chantant dans Can't we be friends et Skylark et, surtout, il convient de souligner la qualité de la splendide version de The Pearls. On ressent comme une sorte de connivence avec `Jelly Roll' Morton dans la poésie et la délicatesse.
Parfois Louis dérive vers une musique méditative ne manquant pas de charme (Sweet and lovely) que l'on rencontre dans ses propres compositions, abondantes dans cet album. Ainsi Sweet Smile. Instinct de conservation. Russian Greek, à l'accent nostalgique, qui composent sa Significant Ladies suite tout comme Surprises, marqué par l'allégresse et l'humour. Louis en outre, a signé In August at St. Germain des Prés, au nonchalant accent garnérien ; Tango Seville, dont la touche espagnole ne peut que rappeler celle de `Jelly Roll' ; Portrait of a portraitist, saisissante évocation de Duke Ellington ; François, lourd de souvenirs hantés par l'ami jumeau François Rilhac ; Nostalgic walk à la démarche paisible mais guillerette. Enfin, gage d'authenticité, il joue le blues avec l'accent et le 'feeling' requis ainsi que le prouve Simply the blues.
André VASSET
Pas de notule pour ce prix
So little time (so much to do), I'm lazy that's all, Kitchen man, Oh yes, take another guess, New Orleans, My old daddy's got a brand new way to love, South ta a warmer place, Thrill me, You better watch yourself Bub, I've got that thing, Don't care who knows, Broken nose, Luci, You for me, me for you.
Russell, de son prénom Catherine, chanteuse quinquagénaire, new-yorkaise d'origine, dont le nom de famille ne nous est pas inconnu. En effet, il s'agit de la fille du célèbre pianiste et chef d'orchestre Luis Russell, incidemment compagnon de route et ami de Louis Armstrong.
Bien qu'ayant baigné durant toute sa jeunesse dans la musique de jazz, elle n'y est venue que tardivement après avoir fréquenté pendant fort longtemps divers horizons musicaux. C'est le trompettiste Doc Cheatham qui l'invitera à chanter des thèmes de jazz lors des 'brunchs' du Sweet Basil de New York, ce qui l'incitera à poursuivre dans cette voie. En 2006, elle réalise un premier disque pour le compte de Harmonia Mundi, et récidive en 2008 avec l'album qui nous intéresse ici.
Manifestement, nous tenons là une chanteuse de tempérament, à la voix chaude, bien posée, parfois rocailleuse. mais juste ce qu'il faut. Elle chante dans la plus pure tradition noire, avec une voix travaillée, mais sans afféterie. Quant à son répertoire, il sort des sentiers battus, puisqu'elle reprend des thèmes anciens chantés, dans le temps, par les plus grandes : Bessie Smith. Ella Fitzgerald, Lena Home, Alberta Hunter, Nellie Lutcher.
Sans conteste, c'est Bessie Smith qu'elle rappelle, aussi bien dans ses inflexions que dans son articulation. Son discours, toujours limpide, est porté par une diction parfaite et son drive puissant vous transporte, comme dans So little time (so much to do) où l'on remarquera l'excellent soutien du pianiste Mark Shane ainsi que celui du batteur James Wormworth (qui peut, sur d'autres morceaux, faire preuve d'une certaine raideur). I'm lazy, that's all a aussi beaucoup de charme, mais c'est Kitchen man qui retient l'attention : ce morceau d'Edna Pinkard, chanté en son temps par Bessie Smith mais aussi Alberta Hunter, séduit par son côté enjoué et ses paroles coquines qui ne sont pas sans rappeler le fameux thème de Eubie Blake : My handy man ain't handy no more (le fait que le parolier, Andy Razaf, soit le même dans les deux cas y est certainement pour quelque chose). De la même veine, elle reprend un grand succès de la pianiste et chanteuse Nellie Lutcher :You better watch yourself Bub, qui bénéficie de bons solos du pianiste Mark Shane et du guitariste Matt Munisteri. Catherine Russell nous gratifie d'une version de classe avec New Orleans qu'elle interprète sur un tempo lazy à souhait. My old daddy's got a brand new way to love et You for me, me for you sont dédiés à la chanteuse Alberta Hunter qui, manifestement, l'inspire beaucoup : deux petits bijoux, le premier avec pour seul accompagnateur le pianiste Mark Shane, le deuxième en compagnie du seul Matt Munisteri à la guitare. Citons aussi une autre chanteuse dont elle possède à la fois le punch et le côté rageur, Juanita Hall: c'est manifeste sur une composition de son père Luis Russell, I've got that thing, qu'elle enlève avec brio. On retiendra enfin Don't care who knows de Willie Dixon, particulièrement swingué.
Un album de grande classe qui ne peut laisser l'amateur indifférent.
Christian Sabouret ( Bulletin du HCF N°573 - Septembre 2008)
Pas de notule pour ce prix
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ECHOES 0F SWING “4 JOKERS IN THE PACK”
(EOSP 4505 2, www.echoes.of.swing.de)
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 566 (Novembre-Décembre 2007) p.21/22
Conga brava, Double talk, Royal garden blues, Lament for Javanette, Shirley steps out, Crêpe muzette, June in january, Impromptu, Tunisian trail, The clown Prince, Some other spring, Eggs and tried lies, Happy feet, l’ll get by, Rehearsin’ for a nervous breakdown, Dancers in love, Deep in the shed.
Quel disque épatant ! Et peu commun. Il y souffle la brise rafraîchissante de “l’esprit Kirby”. Je dis bien : l’esprit, car le est différent. Le jeu allègre, primesautier, l’entrelacement des solos et des ensembles, la formation réduite de quatre solistes qui “se renvoient la balle” et discourent avec verve, des arrangements séduisants, alertes, très fignolés, qui créent une atmosphère, un “son”... Mais il est temps que je vous présente les acteurs de ce théâtre sonore.
Echoes of Swing est donc un quartet composé de Colin Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p) et Oliver Mewes (dr). Nous les connaissions déjà par les Bulletins 480, 502 et 527. Il ne s’agit pas ici de deux souffleurs accompagnés par piano et batterie mais de quatre instrumentistes au même niveau d’intervention. Seul le batteur me paraît un peu en retrait, est-ce l’enregistrement ? Je penche plutôt pour un excès de prudence ou de discrétion par rapport à ses collègues: il joue bien mais il faut tendre l’oreille parfois.
Hugues Panassié disait, parlant de l’orchestre Lunceford “qu’il se passait à chaque instant quelque chose de nouveau”. C’est le cas dans ce disque. Les arrangements sont pour la plupart dus à Dawson et à Hopkins, Lhotzky est responsable de trois d’entre eux, Mewes du titre 12. L’impression générale est une certaine unité dans la diversité : les thèmes choisis sont variés, originaux et, en fin d’audition, j’avais l’impression d’avoir entendu une grande pièce de 55 minutes dont les multiples facettes étaient les thèmes et leurs arrangements. Tout cela suppose un grand travail d’élaboration et une parfaite entente stylistique entre les musiciens, qui donnent parfois l’illusion d’être bien plus de quatre, tant dans l’agencement des parties que dans la spontanéité apparente de l’exécution. Lhotzky domine par son jeu inventif, renouvelé, swingant. Au fil des années, il s’est diversifié, “musclé”, affirmé tant en solo qu’en seconde voix; c’est un piano fertile et qui “tient la distance” : on n’a jamais l’impression qu’il atout dit et qu’il n’a plus de réserves, Il faudrait tout citer car il joue bien partout. C’est un jeune maître. J’ai préféré, et de beaucoup, Hopkins à l’alto plutôt qu’au piano (j’en parle par ailleurs dans son duo avec Dick Hyman). Les changements subtils et fréquents d’atmosphère ne le déroutent pas et il fait penser parfois à André Ekyan ou à Tab Smith. Colin Dawson ne manque pas de drive et a quelques belles envolées. Son jeu avec sourdine de Happy feet est prenant. Il intéresse toujours, même s’il n’a pas la superbe régularité de Lhotzky.
Enregistré en juin 2006 en Autriche, ce CD n’a pas de faiblesses. Même les deux interprétations avec vocal (titres 7 et 14) sont intéressantes pour ce qui se passe derrière. Voilà du jazz contemporain qui concilie nouveauté et respect des “fondamentaux”. Profitez-en.
Daniel Janissier
The Blues is my story
Autoproduit
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 565 (Octobre 2007) p.22/23
Washington’s Boogie, The Blues is my story, I’ll be good to you baby, I know, Cherry Red, Let’s go, Ain’t it sweet, What I got, Two tons of loving, Peace in the valley, When the saints go marching in.
Le dernier Festival de La Roquebrou nous a permis de découvrir un bon pianiste et chanteur de blues en la personne de Papadon Washington. On connaît fort peu de choses sur sa biographie sinon qu’il a commencé l’étude du piano dès l’âge de cinq ans au sein de l’église où officiait son père, pasteur de la paroisse de Kent dans I’ État de New York. Il se produit aussi au sein de la chorale de cette église. Par la suite, il est devenu un véritable homme-orchestre ayant appris à jouer, aussi bien du piano que de divers instruments dont l’orgue mais aussi la guitare et la batterie. De sa carrière on ignore à peu prés tout, à peine sait-on qu’il a été la révélation du Chicago Blues Festival en 2005.
Pour la réalisation du présent CD, il a fait appel à la technique du réenregistrement, ce qui nous permet de l’entendre simultanément au piano, à l’orgue et à la batterie entre autres. II chante aussi, fort bien, d’une voix chaude, expressive, fortement enracinée dans le blues. Il se révèle bon compositeur et tous les thèmes, sauf trois, sont de sa composition.
Le disque débute avec un robuste boogie-woogie : Washington’s boogie, bien enlevé, qu’il chante en s’accompagnant au piano, soutenu par un solide afterbeat de la batterie. The Blues is my story, chanté d’une voix bien posée, très prenante, résume son credo: “The blues is my story and I tell that story until the day I die”, on l’entend ici au piano, à l’orgue et à la batterie. I’II be good to you baby et I know balancent bien et sont traités dans le même esprit que le précédent, avec un joli solo de guitare sur I know. Le fameux Cherry Red de James P. Johnson nous vaut une version très personnelle qu’il interprète avec beaucoup de feeling, piano et orgue font alterner climat apaisé et climat tendu. Let’s go est un thème orchestral très agréable qui laisse toute la place au piano et à l’orgue. Ain’t it sweet, What I got et Two tons of loving sont trois faces chantées de façon prenante, très low-down, accompagnées par piano et batterie, avec un swing omniprésent. Avec Peace in the valley, Don Washington se remémore ses débuts à l’église avec ce gospel, écrit par Thomas A. Dorsey, qu’il chante avec foi et recueillement accompagné par piano, orgue et batterie. Le disque s’achève avec le traditionnel When the saints go marching in qu’il interprète à plusieurs voix mais ce thème rebattu n’apporte rien de bien neuf. Je vous invite à découvrir cet authentique bluesman sur son site.
Christian Sabouret
The British Tours 1963-1966
Reelin’ in the Years Productions and Experience Hendrix
Tournée 1963: Keep It to Yourself (Sonny Boy Williamson), Got My Mojo Working (Muddy Waters), Too Late to Cry
(Lonnie Johnson), Baby Please Don’t Go (Big Joe Williams).
Tournée 1964 : Bye Bye Blackbird, Getting Out 0f Town (Sonny Boy Williamson), Come Go with Me, Lightnin’s Blues (Lightnin’ Hopkins), Baby What You Want Me to Do, Rock Me Baby (Sugar Pie Desanto), Smokestack Lightning, Don’t Laugh at Me (Howiin’ Wolf).
Tournée 1966: Oh Well Oh Well (Big Joe Turner), What’d I Say (Junior Wells).
Bonus (tournée 1964): You Can’t Lose What You Ain’t Never Had, Blow Wind Blow (Muddy Waters), Didn’t It Rain, Trouble in Mind (Sister Rosetta Tharpe).
Ce groupement d’interprétations filmées lors de tournées anglaises de l’American Folk Blues Festival fait suite aux trois recueils de 1’AFBF (cf. Bulletins 530 et 537) figurant au palmarès des Prix HCF 2004, ainsi qu’au recueil « Memphis Slim & Sonny Boy Williamson Live in Europe » (cf. Bulletin 539). Pour dissiper toute ambiguïté, précisons que ce nouveau DVD ne recoupe à aucun moment les précédents.
Les chanteurs-guitaristes sont ici à l’honneur. Big Joe Williams, débordant de naturel, martèle le sol du talon pour accompagner un vocal ardent et des solos non moins fougueux sur Baby Please Don’t Go, sa composition la plus réputée. A l’opposé, le placide Lonnie Johnson, à la voix sans aspérité, développe sur Too Late to Cry deux chorus de guitare raffinés dont les notes bien détachées contribuent à la netteté des lignes. Lightnin’ Hopkins traite avec brio Come Go with Me en rythme boogie, mais retient davantage encore l’intérêt par un blues lent chanté telle une complainte, avec une émotion qu’amplifie un jeu « low-down » aux multiples inflexions. Seul Howlin’ Wolf, à la guitare dans Don’t Laugh at Me, se contente d’arpéger les accords fondamentaux à la façon d’un bassiste (il laisse les solos à son brillant second Hubert Sumlin) dans une interprétation tendue, « hurlée » d’une voix rugueuse.
Parmi les chanteurs-harmonicistes, Sonny Boy Williamson l’emporte à l’applaudimètre. Il est vrai que le personnage cultive le pittoresque : il faut le voir entrer d’un pas indolent, melon sur la tête, sacoche à la main, parapluie au bras, s’attarder au micro le temps d’un thème et sortir du côté opposé. De ses longs doigts effilés il dissimule des harmonicas qu’il triture en tous sens pour en modifier les sons, en joue à l’occasion avec le nez ou sans utiliser les mains. Ses trois spécialités sont au nombre des moments forts du recueil tant sa partie vocale est nonchalante et sa partie d’harmonica souple, inventive, dédiée au swing par l’accumulation des effets rythmiques (riffs, traits incisifs, claquements de langue contre le micro suggérant des frappes de «tap dancer»). Howlin’ Wolf, dont le Srnokestack Lightnin’ est salué par des ovations, souffre évidemment du rapprochement avec Sonny Boy, mais compense la modestie de son jeu d’harmonica par une véhémence de « blues shouter » : l’interprétation, prise en tempo aisé, tangue sur place, ponctuée par un riff unique joué conjointement par le pianiste et le guitariste.
Au rang des chanteurs non instrumentistes, Big Joe Turner fait preuve de son assurance coutumière : au cœur du swing dès la première mesure, il balance 0h Well 0h Well avec une flamme communicative entretenue par le « shuffle » de Fred Below et ses relances en rafales. Même sans avoir pareil abattage, Sugar Pie Desanto se montre dynamique sur Baby What You Want Me to Do avant de détailler les paroles de Rock me Baby avec une espièglerie provocante. Privé de sa guitare, Muddy Waters propose de My Mojo une interprétation au climat inhabituel en raison d’accompagnateurs qui, à l’exception d’Otis Spann, ne font pas partie de son entourage familier: aussi est-ce le pianiste qui exécute les chorus — quasi immuables - réservés d’habitude à l’harmoniciste. Quant à Junior Wells, l’un des benjamins des tournées, il danse plus qu’il ne chante dans sa version de What’d I Say~ mais son impétuosité dans cette discipline inattendue ne manquera pas d’étonner.
Les prises du bonus proviennent d’une émission télévisée «The Blues and Gospel Train » tournée en 1963 près de Manchester. Il faut le professionnalisme de Muddy Waters et de Sister Rosetta Tharpe pour parvenir à s’imposer en dépit des conditions du concert : la scène est un quai de gare, les accompagnateurs sont regroupés à l’écart, le froid et la pluie s’en mêlent, contraignant Muddy et Sister Rosetta à jouer en manteau (sans perdre leur humour, Muddy termine par Blow Wind Blow et Sister débute par Didn’t It Rain !). Par chance, l’acoustique n’est pas hostile : la partie de guitare « slide » de Muddy Waters est même bien restituée.
L’ensemble de ce programme, d’une qualité d’image et de son inespérée, offre un précieux témoignage de ces tournées qui réveillèrent l’intérêt pour le blues en Europe. Aussi saluera-t-on sa parution sans réserve.
Jacques Canérot
1 - Le livret hésite sur l’identité des accompagnateurs: « Cousin Joe Pleasant Piano. Unknown: Bass. Unknown: Drums ». En fait, le pianiste est Otis Spann, le bassiste Ransom Knowling et le batteur Willie Smith (connu à l’époque sous le nom de Little Willie Smith, il était l’accompagnateur régulier de Muddy). Cousin Joe est bien au piano... mais seulement le temps de présenter Sister Rosetta: avant comme après, il se balance sur scène dans un rockin’ chair (il est filmé parfois en gros plan et Sister le salue d’un cordial « Brother Joe! »).
I John, Great Jehovah / I believe I’ll go back home, Down by the riverside, Just a little walk with Jesus, Jesus met the woman at the well, Lord don’t leave me, Looking for my shepherd, Old ship of Zion, I got good religion, Shine on me, Walk by faith, You hear the lambs crying, There must be a city, I’ve got a new home, I was there when the spirit came.
Ce nouveau groupe proposé par Willie Leiser, expert acharné et vigilant, tournera en Europe en fin d’année 2007. Il s‘agit d’un quintette vocal s’exprimant sans le moindre accompagnement instrumental, il se compose des quatre frères Turner, Willie, le directeur et ténor, Andrew et Melvin, barytons, Calvin, basse, rejoints par un autre baryton, Clarence Langston. Les Harmony Harmoneers, originaires d’Atlanta, Georgia, fonctionnent depuis une trentaine d’années.
L’album s’ouvre sur I John conduit par Willie Turner à qui ses partenaires fournissent un fond sonore subtilement harmonisé, d’une cohésion et d’une variété remarquables, proposant un riff ou une réplique en contre-chant, toujours avec un tonus rythmique stimulant. Great Jehovah, d’abord hors tempo, impressionne par sa précision et son articulation, puis s’enchaîne et se termine en tempo d’une dilatante souplesse sur I believe I’!! go back home. Comme précédemment, la voix vibrante d’Andrew Turner mène Lord don’t leave me, hors tempo, cependant que le groupe le soutient avec la plénitude des voix sonnant souvent comme un orgue. Le même conduit magistralement Shine on me, autre morceau hors tempo.
L’originalité et la science de l’harmonisation du groupe apparaissent pleinement lorsqu’il s’empare d’un gospel très connu, tel Down by the Riverside, où l’ensemble et le soutien rythmique s’imposent superbement. De même, on admire dans Just a little walk with Jesus ou Looking for my shepherd ou I’ve got a new home l’influx rythmique et la combinaison des voix d’une intense beauté. En réalité, toutes les plages réservent quelque motif d’étonnement. Le morceau le plus long, You hear the lambs crying, s’étend sur six minutes, il débute sur tempo très lent en détaillant les paroles avec une précision méticuleuse et, insensiblement, il se met à swinguer de façon irrésistible. Dans la plupart des titres le leader se trouve être soit Willie, soit Andrew Turner, ce dernier possède une voix plus éclatante.
Ces Harmony Harmoneers, chantant a cappella, ne présentent évidemment pas l’impact, la force de frappe des New Spirit ou des Victory Singers qui subjuguent leurs publics, mais ils opèrent dans un registre confidentiel qui offre une musique d’une beauté rare.
André Vasset
Le talent exceptionnellement prometteur de ce jeune pianiste tire de plus en plus l’attention des amateurs. Le présent album vient confirmer brillamment cette impression alléchante. Son enregistrement eut lieu le 21 avril 2005 à La Nouvelle-Orléans alors que l’orchestre des New Bumpers participait au French Quarter Festival. Julien Brunetaud joue en solo ou accompagné par ses fidèles Sébastien Girardot (b) et Guillaume Nouaux (d) joints parfois par Paul Chéron.
Signalons tout d’abord une erreur importante dans le programme qui annonce 11 plages alors que le CD en comporte 12. La plage 2, Your choice, a été oubliée ce qui décale toutes les suivantes, en conséquence Boogie for my friends annoncé sur la page 2 se trouve en réalité sur la plage 3 et ainsi de suite jusqu’à Newtown boogie donné en position 11 au lieu de 12!
Le disque s’ouvre sur un exaltant Orleans Street boogie, le piano démarre sans tergiverser sur tempo vif puis le ténor de Paul Chéron riffe sur un chorus et poursuit avec quatre chorus d’un direct particulièrement efficace. Julien Brunetaud propose ensuite un long solo d’une souplesse étonnante; sur une partie main gauche ferme et précise, il aligne des phrases excitantes avec une spontanéité et une aisance admirables. Le même groupe intervient sur trois autres plages. Dans Your choice, la plage 2 clandestine, Julien swingue au piano et de surcroît chante avec un dynamisme et un naturel assez estomaquant. Paul Chéron reste impeccable en contre-chant et en solo. Il s’exprime aussi longuement dans Rampart rip off en tempo moyen sur lequel le piano joue avec un profond feeling sur la pulsation stimulante un tandem basse-batterie. Dans le blues lent de Wynonie Harris, Time to change your town, Julien Brunetaud chante les paroles anachroniques avec conviction en se fournissant une émouvante partie de piano dans les deux premiers chorus, appuyé dans le deuxième par un discret contre-chant du ténor qui ensuite prend un chorus éloquent avant le dernier chorus chanté.
Julien Brunetaud reste absolument seul dans quatre plages. En tempo moyen Boogie for my friends se déroule de manière agréablement détendue et passionnante. Look like twins, blues très lent, dégage une intense émotion aussi bien par le vocal que par le piano d’un accent authentique. Hootie blues, blues semi-lent, fredonné puis chanté avec nonchalance et feeling, montre que notre homme a parfaitement capté l’esprit de cette musique. Et il nous signale aussi dans son jubilant Russian rag qu’il ne faut surtout pas le cantonner exclusivement dans le répertoire blues-boogie.
Dans les quatre plages restantes Sébastien Girardot et Guillaume Nouaux reparaissent aux côtés de Julien Brunetaud pour apporter un soutien de qualité. La musique va couler avec facilité aussi bien dans le ique Things ain’t what they used to be que dans la musique de teinte néo-orléanaise de Mardi Gras for Cyrine ou bien encore dans Newtown boogie, joyeusement enlevé, ou enfin dans Aladdin boogie, ce dernier chanté en évoluant sur un obsédant motif de basses.
Julien Brunetaud. Notez ce nom voilà un jazzman dont nous reparlerons !
André Vasset
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 565 (Octobre 2007) p.17/18
Vol 1 - (2 CD) - « Con-soul and jazz - Wild Bi11 is the boss ! (Lonehill Jazz LHJ 10283)
Vol 2 - « Joe’s blues » featuring Grant Green. (LHJ 10284)
Vol 3 - « Mess of blues » featuring Kenny Burrell. HJ 10285)
Vol 4 - « Joe’s blues » featuring Les Spann and Mundell Lowe. (LHJ 10286)
La firme Lonehill Jazz vient de procéder à une magistrale réédition des huit remarquables microsilIons réalisés entre 1961 et 1968 par le tandem Hodges/Davis, soutenu par une rythmique où apparaît le plus souvent un bon guitariste (Kenny Burrel, Grant Green, Les Spann ou Mundell Lowe) avec parfois un autre soliste en complément : Lawrence Brown dans deux microsillons, le trompettiste Joe Wilder dans un autre.
Pour parvenir à un total de cinq CD, le réalisateur a ajouté d’une part, dans le volume 1, quatre morceaux tirés d’un neuvième microsillon où Hodges et Davis jouent, sans aucune conviction, avec un grand orchestre dirigé par Claus Ogerman. Ce disque, gravé en 1963 et intitulé Sandy’s gone aurait pu avantageusement être « oublié » tant son intérêt est faible. D’autre part, deux autres microsillons figurent ici, l’un dans le vol.3, paru sous le nom de Johnny Hodges et EarI Hines, le sensationnel Stride right enregistré en 1966, l’autre, réparti entre les vol. 1 et 4, provient d’une session gravée en 1966 également, sous le nom de J. Hodges seul (Blue notes) qui y joue avec un grand orchestre comprenant de bons musiciens, dont Hank Jones au piano, mais sur des arrangements sans éclat de Jimmy Jones, rendant l’ensemble terne et décevant, même pour Hodges.
Les huit premiers microsillons réalisés par Hodges/Davis ont tous été chroniqués dans le Bulletin : Blue Hodge (1961) dans le n° 121, Mess of blues (1963) dans le n° 147, Blue rabbit (1964) dans le n° 153, Joe’s blues (1965) dans le n° 151, Wings and things (1965) dans le n° 167, Con-Soul & Jazz (1965) dans les n°’ 157 et 220, Blue pyramid (1965) dans le n° 166, In Atlantic city (1966) dans les n°185 et 203. L’excellent microsillon Stride right (1966) a été chroniqué dans le Bulletin 163.
II est inutile d’insister sur l’intérêt majeur de cette réédition, très complète, de disques de grande e, d’une facture originale, comprenant une bonne proportion de blues de la main de Hodges, un maître en la matière. Dans cette série, Johnny Hodges et WiId BiIl Davis, s’inspirant l’un l’autre, sont le plus souvent à leur maximum, jouant ensemble pour leur plus grand plaisir. Du pur jus, indispensable à toute discothèque.
François Abon
Chronique du LP original (Verve 8570) parue dans le Bulletin du HCF N°147 (avril 1965) page 22.
JOHNNY HODGES-WILD BILL DAVIS, « MESS OF BLUES » (33 t. 30 cm. Verve 8570 - standard): Jones, I cried for you. Love you madly, Little John Uttle John sur une face; Stolen Sweets, A & R Blues, Lost In meditation au verso.
Ces interprétations ont été enregistrées les 3 et 4 Septembre 1963 par un petit groupement de studio composé de Johnny Hodges (as), Wild BiIl Davis (orgue), Kenny Burrell (g), Osie Johnson ou Ed Shaughnessy (dm). La pochette indique aussi Joe Wilder (tp) parmi les participants à cet enregistrement mais vraiment, c’est comme s’il n’y était pas: à aucun moment on ne perçoit distinctement une trompette.
Ce recueil est très supérieur au premier recueil de Johnny Hodges avec Wild BilI Davis, celui intitulé « Blue Hodge » (cf. Bulletin 121). Wild BilI Davis est bien plus en valeur ici, tant en solo qu’à l’accompagnement, swinguant prodigieusement d’un bout à l’autre du disque. Son solo de Uttle John est à vous couper le souffle! Johnny Hodges, de son côté, joue superbement dans tous les morceaux, dans ce direct, chantant, swinguant, sans la moindre note inutile qui fait en quelque sorte de lui le Louis Armstrong du saxo-alto. Tous les morceaux sont pris en tempo aisé (modéré ou semi-lent — seul Lost In méditation est carrément lent), la musique coule, simple, naturelle, décontractée (mais jamais molle) et l’on ne se lasse pas d’entendre ce jazz pur, rafraîchissant...
.J’ajoute que Kenny Burrel joue généralement très bien (notez son excellente partie d’accompagnement dans Uttle John) et que les deux batteurs sont assez bons. Il est regrettable que le texte de pochette ne spécifie pas dans quels morceaux joue chacun d’eux. Le temps me manque pour essayer de les distinguer, d’autant plus que je connais mal Ed. Shaughnessy.
Un beau disque!
Hugues Panassié
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 566 (Nov-Déc 2007, p. 13,14)
Frémeaux publie deux CD précieux à vocation pédagogique différant de la production courante et s’adressant aux amateurs désireux de parfaire leurs connaissances. Le plus souvent, le public apprécie la musique en ignorant les détails de sa structure et de son fonctionnement, mais l’amateur passionné cherchera à approfondir la question aussi l’initiation proposée est-elle bienvenue. D’autant qu’elle a été confiée à Jacques Morgantini qui explique toutes les nuances avec sa maestria habituelle. Frémeaux ne pouvait trouver meilleur guide.
Bien sûr, il ne suffira pas de lire en vitesse les explications du très copieux livret et d’écouter de même les plages du CD pour devenir un spécialiste. Il faudra prendre le temps d’assimiler ces subtilités pour ensuite profiter pleinement de la musique en l’écoutant encore mieux.
SAVOIR ÉCOUTER LE BLUES
(Frémeaux & Ass FA 5181)
La musique et le chant permirent aux Noirs déportés en Amérique d’échapper quelque peu à leur funeste condition. Insensiblement, sous diverses influences, ils créèrent leur propre musique d’où se dégagea une forme privilégiée. Colportée par tradition orale, aucune règle n’étant fixée, chaque interprète pouvait l’adapter à sa guise. Ainsi, les faveurs de la communauté allèrent à une structure de 12 mesures bâtie sur une « séquence harmonique quasiment miraculeuse » : trois phrases de 4 mesures, la première répétée une seconde fois avant une troisième en conclusion, schématiquement AAB.
Le tour d’horizon débute donc par cette forme ique de 12 mesures avec en exemples Baby dont tell on me et 60m’ ta Chicago blues de Count Basie chantés pas Jimmy Rushing et Double trouble blues de Hot Lips Page. Dans chacune des phrases de 4 mesures, le vocal n’occupe pas toute la place, une réponse instrumentale vient le prolonger. Lorsque ces blues se déroulent sur tempo lent; on note qu’une pause intervient au cours de chaque phrase chantée
Train tare home de Muddy Waters, Hello Central de Lightnin’ Hopkins, So blue blues de T-Bone Walker, Harvard blues de Count Basie chanté par Jimmy Rushing.
Les blues à refrain apportent une variante : les quatre premières mesures (couplet) changent à chaque chorus, alors que les huit autres (refrain) se répètent. Souvent ces blues comportent des passages avec breaks solo ainsi qu’on l’entend dans les titres venant en exemples You ain't so much a much et Bachelor’s blues de Cousin Joe, The Lady in bed de Lips Page. En fait, le bluesman peut ne pas recourir aux breaks solo et donc chanter en continu : Just a dream de Big Bill Broonzy, Stop breaking down de Sonny Boy Williamson. Il peut aussi modifier l’importance du couplet et le porter à 8 mesures : I’m not the lad de Washboard Sam, Railroad porter blues d’Eddie Vinson.
Quelques fois, le blues adopte une structure de 8 mesures, la première phrase n’étant pas répétée (donc AB) selon le modèle de How long how long blues de Leroy Carr et Nobody in mind de Big Joe Turner. Là encore, la phrase B peut devenir un refrain comme dans le fameux Torride Lite blues de Big Maceo. Sont également évoqués le blues de 16 mesures, le blues dédoublé avec Stump blues de Big BilI Broonzy en exemple, et aussi les formes plus complexes tel Saint Louis blues, de Bessie Smith, qui comporte trois thèmes : un ique blues de 12 mesures chanté deux fois, un thème de 16 mesures et un second blues de 12 mesures diffèrent du premier.
Le CD se termine avec Bottom blues d’Albert Ammons dans lequel apparaissent en solo. Vic Dickenson et Hot Lips Page qui jouent le blues de façon empoignante alors que leur collègue Don Byas, pourtant éminent jazzman, ne possède pas l’accent ni le feeling.
(André Vasset)
Chronique publiée dans le Bulletin HCF N° 566 (Nov-Déc 200) p.14/15
Frémeaux publie deux CD précieux à vocation pédagogique différant de la production courante et s’adressant aux amateurs désireux de parfaire leurs connaissances. Le plus souvent, le public apprécie la musique en ignorant les détails de sa structure et de son fonctionnement, mais l’amateur passionné cherchera à approfondir la question aussi l’initiation proposée est-elle bienvenue. D’autant qu’elle a été confiée à Jacques Morgantini qui explique toutes les nuances avec sa maestria habituelle. Frémeaux ne pouvait trouver meilleur guide.
Bien sûr, il ne suffira pas de lire en vitesse les explications du très copieux livret et d’écouter de même les plages du CD pour devenir un spécialiste. Il faudra prendre le temps d’assimiler ces subtilités pour ensuite profiter pleinement de la musique en l’écoutant encore mieux.
SAVOIR ÉCOUTER LE JAZZ
(Frémeaux & Ass FA 5182)
Cette initiation à l’écoute du jazz sera appréciée aussi bien par l’amateur nouveau venu que par celui qui jusque-là s’est contenté d’une écoute bienveillante mais superficielle. En douze pages du livret, Jacques Morgantini fournit l’essentiel des bases indispensables. Après avoir évoqué les origines du jazz, ses caractéristiques (rythme, mélodique, swing, improvisation), la composition et le fonctionnement d’un orchestre, le professeur entre dans les détails et en arrive aux travaux pratiques. Les enregistrements alignés sur le CD illustrent chacun des points examinés.
Les commentaires et l’écoute débutent avec le Nouvelle-Orléans et l’improvisation collective sur e modèle de Gettysburg March de Kid Ory. Pour la même rubrique, dans un registre magistral, Louis Armstrong intervient avec l’éblouissant Potato head blues et son fameux stop chorus ; ensuite se trouve un moment rare d’improvisation à cinq avec Oh Didn’t He Ramble de Jelly Roll Morton.
Très rapidement les grands orchestres se multiplièrent et nécessitèrent le recrutement d’un arrangeur pour organiser la musique des différentes sections où vont s’insérer les interventions des solistes. Duke Ellington se révèle un maître dans l’art de modeler la matière sonore, exemple Dusk.
Il convient de rappeler que, dans les années 20, les interprétations étaient souvent plus élaborées qu’elles ne le devinrent ensuite. Outre le refrain, les musiciens utilisaient alors fréquemment le couplet (verse), pratique qui a quasiment disparu. De surcroît, il n’était pas rare que plusieurs thèmes se succèdent dans un même titre. Par ailleurs, il faut noter également que des procédés typiques sont tombés en désuétude : stop chorus, interlude, breaks... A propos du recours aux breaks (phrases jouées sans accompagnement) qui pimentent de manière excitante les interprétations, plusieurs exemples sont proposés C Jam blues de Duke Ellington, Kaiser’s last break de Mezzrow-Bechet, The King de Count Basie, Bye and bye de Louis Armstrong, Star dust de Lionel Hampton, Wild Man blues de Sidney Bechet.
Les interprétations sont basées sur un thème à partir duquel se développe l’improvisation en respectant la structure harmonique. Certains morceaux comportent plusieurs thèmes tel Black and tan Fantasy de Duke Ellington (thèmes de 12, 16 et 12 mesures). Les morceaux les plus communément employés, outre le blues, sont les thèmes de 32 mesures avec pont (AABA) : Doggin’ around et Rock-a-bye Basie de Count Basie, Wednesday night hop d’Andy Kirk, Christopher Columbus de Fletcher Henderson, Riding on 52nd Street de Coleman Hawkins (ce dernier titre utilise exceptionnellement le couplet). Il existe bien d’autres formes, notamment des 16 mesures avec pont (Dusk et Stompy Jones de Duke Ellington), des 32 mesures sans pont (Sidewalks of New York et Margie de Duke Ellington), des 16 mesures sans pont (Portrait al the Lion de Duke Ellington), des 16 mesures avec queue (Baby won’t you please come home de Louis Armstrong), etc.
Les informations brillamment prodiguées par Jacques Morgantini dans le livret (notamment le déroulement de chacun des enregistrements est minutieusement détaillé) mises en lumière par la musique du CD feront forcément progresser l’amateur dans sa connaissance du jazz.
André Vasset
par Eddy DETERMEYER
The University of Michigan Press, 2006. (23,5 x 16 cm).
331 pages. 26 photos noir & blanc hors texte. Relié avec jaquette. En anglais.
ISBN 0-472-11553-7
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 562 (Juin 200) p. 27-30
Eddy Determeyer, journaliste et homme de radio d’origine néerlandaise, consacre un passionnant ouvrage au parcours et à l’oeuvre d’un des plus prestigieux orchestres de l’histoire du jazz. Disposant d’une masse impressionnante d’archives, de documents et de témoignages, l’auteur retrace avec minutie la vie de Jimmie Lunceford (1902-1945) et des musiciens qui l’ont accompagné tout au long de sa carrière. Il analyse également les enregistrements les plus importants et dresse, en fin de volume, une précieuse discographie qui fournit à l’amateur dates, lieux, personnels, éditions originales et rééditions (LP et CD).
Notes et index complètent comme il se doit cette biographie de Lunceford qui « propose une vue particulièrement complète du monde de ce personnage unique en rassemblant de multiples témoignages, anecdotes et opinions... Un livre essentiel absolument remarquable ».
Alain Carbuccia
THE VICTORY GOSPEL SINGERS «NOBODY KNOWS»
Testimony, Nobody knows, I’m so grateful, Jesus can work it out, God will deliver, Jesus will, I know I’ve been changed, I love to praise him, The Lord is blessing me, Happy with Jesus alone, The Saints, Keep your lamps, I’ll fly away, Everything is gonna be allright, Take a trip / Trouble in my way / Jesus he’ll fix it, Sanctuary.
Ce diable de Willy Leiser vient encore de débusquer un nouveau groupe enthousiasmant, The Victory Gospel Singers, inconnu en Europe où il doit venir en tournée en fin d’année ! Cette formation réunit quatre chanteuses et deux chanteurs dont Bryant Jones, le directeur qui utilise aussi piano et orgue. Selon les plages, interviennent parfois un autre organiste et un drummer. Ces interprétations proviennent de trois séances d’octobre et novembre 2005, excepté Happy with Jesus alone enregistré devant une congrégation par Jeanette Robinson-Jones chantant de façon recueillie avec une profonde émotion, accompagnée au piano par son fils Bryant Jones. Le groupe que l’on entend dans toutes les autres plages frappe immédiatement l’auditeur par son dynamisme peu commun et l’agréable variété d’un répertoire constamment swinguant et proposé dans un style original.
Quelques fois le directeur, Bryant Jones, installe le tempo pour l’interprétation, rapidement rejoint par le groupe dans lequel éclate la jubilation de chanter. Dans I’m so grateful, le vocal de Bryant débute calmement puis le chœur arrive en renfort et lui lance la réplique de manière très rythmique avec une ardeur croissante. Le groupe entre immédiatement en action dans I love to praise him pour répondre à Bryant Jones, il en est de même dans l’inusable The Saints, traduit là avec originalité sur une attrayante partie de piano (la fin est abrupte ainsi que dans certains autres morceaux). Le medley enchaînant Take a trip, Trouble in my way et Jesus he’ll fix it, suit un plan semblable, la tension monte insensiblement et le swing devient presque insupportable vers la fin (shuntée). Sanctuary aussi débute dans la sérénité et se conclut dans la véhémence. Dans le fameux Nobody knows, Bryant Jones débute seul au piano et chantant, peu après le chœur surgit puis, après l’entrée en tempo, le groupe lui donne la réplique avec de plus en plus d’énergie et d’insistance. La simple répétition des mots ‘Glory’ et ‘Hallelujah’ swingue de façon impitoyable puis la voix d’une chanteuse, Jeannie Lightfoot, se détache et se déchaîne portant la tension à son comble. Epoustouflant!
Le groupe compte aussi de remarquables solistes. Cette Jeannie Lightfoot se trouve aussi en vedette dans Jesus can work it out, spontanément en action elle manifeste une impétuosité qui ne cesse de grandir jusqu’à vous couper le souffle. Dans The Lord is blessing et I‘11 fly away elle prend également la direction avec une fougue et une autorité exceptionnelles. Shana Bradley au débit syncopé avec une flamme et un mordant qui font s’élever la température de manière irrésistible avec ses partenaires à l’unisson dans Testimony. Elle émerge momentanément dans Keep your lamps, chanté a cappella.
Tommy Stewart est le leader de God will deliver, en tempo moyen avec soutien dense et obsédant du groupe, et de Everything is gonna be allright, en tempo vif qui petit à petit va se terminer en ouragan. Deux plages sont chantées par le chœur faisant bloc : Jesus will au feeling frémissant et I know I’ve been changed, a cappella accompagné par une batterie discrète.
Un album constamment exceptionnel ! (André Vasset)
Lauréat : MICHEL PASTRE pour “FREE SWING”
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 554 (Juin-Juillet 2006) page 13
MICHEL PASTRE, « FREESWTNG » (Djaz 734.2) Midriff, Tulip or Turnip, Freeswing, Webstering, Hiawatha, Morning Glory, Sophisticated Lady, Kinda Dukish mocking in rhythm, What am I here for, Lazy Rhapsody.
Quatrième CD de Michel Pastre et son second en quartet ; comme précédemment il est accompagné de Pierre Christophe (p), Raphaël Dever (b) et Stan Laferrière (d). On ne présente plus Michel Pastre qui a su s’imprégner des qualités des grands saxophonistes de l’âge d’or du jazz et on entendra passer dans son jeu le souffle des Webster, Hawkins ou autres Jacquet. Glissons sur le premier titre, Midriff, qui n’est pas le plus représentatif du talent de notre ténor (petits problèmes d’intonation et de justesse), pour en arriver à Tulip or Turnip : c’est une réussite ! Excellent tempo, « ça balance » dès le premier chorus, l’accent jazz est là, la sonorité est superbe et tout le monde swingue avec naturel, sans effort. Les trois sidemen font corps avec le saxophoniste : Pierre Christophe, dont le évolue entre Sir Charles Thompson (pour l’économie et la précision) et Erroll Garner, sait se montrer éloquent et sobre à la fois Raphaël Dever fournit une impeccable ligne de basse (comme dans tous les morceaux, d’ailleurs) et Stan Laferrière, dont la batterie est un peu en retrait par l’enregistrement, assure le soutien qui convient à ce type de musique. Cette interprétation est à mes yeux (à mes oreilles plutôt) le sommet de ce CD. Faites-la entendre à des amis peu portés au jazz pour étudier leurs réactions. Le titre suivant est à prendre en se tapotant le menton. Artificiel malgré le «free» de Freeswing, cette espèce de blues bizarre à la sauce vaguement polytonale est, me semble-t-il, un clin d’œil moqueur de nos musiciens à un type de musique apprécié (!) de l’avant-garde modernistique. Si tout le disque avait été bâti ainsi, il est certain que Michel Pastre aurait eu droit aux félicitations de l’intelligentsia subventionnée. Fort heureusement, Webstering nous ramène au jazz ; le titre dit ce qu’il en est. Signalons à nouveau le travail du bassiste et le piano économe et swinguant de Christophe. Le son opulent, la sonorité maîtrisée du ténor, sur les accords profonds du piano (avec juste ce qu’il faut de pédale), le tempo lent où se déploie le feeling des quatre musiciens, concourent à réaliser une bien belle interprétation de Morning Glory. Le titre suivant est joué sur un tempo assez vif ; Pierre Christophe taquine Garner. Kinda Dukish est moyennement réussi : sans Pastre au début, nos trois musiciens « ellingtonisent » avec jubilation puis on suit le plan habituel ; ici, le saxophoniste maîtrise moins bien sa fougue naturelle. What am I here for est swingué en souplesse. Le dernier morceau, Lazy Rhapsody, est un petit bijou (petit, parce que 2 mm) : basse à l’archet, ténor on douceur, batterie en demi-teinte, piano coloré, c’est tout simple, c’est bien.
Ce CD en tout cas, contient de la bonne musique comme j’ai tenté de le montrer, et l’entente des quatre musiciens est parfaite.
(D.J.)
Lauréat : REELIN' IN THE YEARS PRODUCTIONS
pour le DVD de MUDDY WATERS « CLASSIC CONCERTS »
ref : 06 02 498 741 290 – Distribué par Universal
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 554 (Juin-Juillet 2006) page 23
MUDDY WATERS, Classic Concerts - Universal Music - Reelin’ in the Years Productions 0602498741290 - Copyright 2005 - Noir & blanc et couleur - Durée approximative mentionnée: 2 h (bonus inclus) - Interviews en anglais avec sous-titres ; livret en anglais.
Ce DVD copieux propose « trois concerts historiques» de Muddy Waters filmés entre 1960 et 1977 avec des personnels différents (seul Otis Spann apparaît deux fois):
-Newport Jazz Festival (États-Unis), 3 juillet 1960 : Hoochie Coochie Man, Tiger in your tank, Rollin’ Stone, Got my Mojo working, Mean Mistreater/Going to Chicago Blues.
On connaissait depuis longtemps ces interprétations par le LP Barclay 84.093 (cf. Bulletin 144), qui ne comportait pas le couplage Mean Mistreater/Going to Chicago Blues, mais proposait titres en plus, réintégrés ici sous la forme de « bonus audio tracks.
Pour sa première participation au Festival rie Newport, Muddy Waters reçoit un accueil enthousiaste dont témoignent des « standing ovations » répétées. Il est vrai que le musicien ne ménage pas sa peine et se cantonne, à un titre près (Tiger in your tank, alors nouveau), dans les succès consacrés. De ce fait, peu de surprises musicales dans ce récital qui confirme la sûreté de Muddy Waters dans le choix des tempos (du nonchalant Hoochie Coochie Man à l’exubérant Tiger in your tank) et sa capacité à instaurer d’entrée de jeu un dramatique (Rollin’ Stone). Le spectacle restitue surtout le magnétisme de sa personnalité et son plaisir à se produire sur scène : pour preuves ses pas de danse et sa gestuelle provocante dans un Got my Mojo working survolté - où culmine le burlesque quand il se met à valser avec James Gotton en s’empêtrant dans le fil du micro.
Le récital s’achève sur une jam session réunissant divers participants aux spectacles de Newport ; outre Muddy, chacun y va chorus chantés (Sammy Price, Betty Jeannette, Jimmy Rushing) ou dansés (Al Minns et Leon James). L’exercice, qui sera systématisé lors des tournées de l’AFBF, comporte les flottements habituels et ne supporte guère les projections répétées.
Le confort du spectateur, déjà perturbé par la sonorisation (les cymbales de Francis Clay ont tendance à ferrailler dans Tiger et My Mojo, est parfois mis à mal par un filmage aberrant : il fallait oser, pendant les solos de James Cotton, cadrer les différents musiciens … sauf l’harmoniciste. Quant aux multiples plans de coupe s’attardant aux comportements pittoresques » du public, ils affichent vite leurs limites.
è Copenhagen Jazz Festival (Danemark), 27 octobre 1968 at Back at the Chicken Shack, Train Fare Blues, Hoochie Coochie Man, Long Distance Call, Nobody knows my trouble, Cold Cold Feeling, Got my Mojo working, Tiger in your tank.
Après une première interprétation tâtonnante où le groupe peine à trouver ses marques, Muddy Waters prend les choses en main et, dans un Train Fare Blues « low-down» à l’extrême, captive son auditoire par un chant véhément et une partie de guitare évoluant dans l’aigu. Autre réussite : un Long Distance Call poignant, interprété d’une voix suppliante, avec deux chorus de guitare « slide » aux inflexions « pleureuses » et, en finale, un long break vocal prêché avec ardeur. L’excellent Otis Spann – « my brother », comme le présente Muddy - se voit accorder deux spécialités chantées (Nobody knows my trouble et Cold Cold Feeling) où les chorus de piano occupent une place réduite, mais qui bénéficient du contre –chant fascinant, tout en phrases sinueuses, de la guitare de Luther « Snake » Johnson. Le reste du programme comprend trois des interprétations immuables du répertoire : cette immuabilité est aussi perceptible dans certains solos, comme l’attestent les chorus d’harmonica sur My Mojo aux variations presque identiques, que leurs auteurs soient Paul Oscher dans le présent concert, Jaunes Cotton dans le précédent, Jerry Portnoy dans le suivant.
L’image - en noir et blanc - est bien contrastée et les nombreux gros plans permettent d’apprécier tout à loisir la mobilité expressive du visage de Muddy.
- Molde Jazz Festival (Norvège) 1er août 1977: Prison Bound Blues, Blow wind blow, Hoochie Coochie Man, Baby please don’t go, Can’t get no grindin’, You don’t have to go, Got my Mojo working.
Dans le programme du concert norvégien - filmé en couleur - prédominent les tempos vifs ou moyens en rythme shuffle. Toutes les interprétations de ce type sont réussies, non seulement par le chant de Muddy Waters - peut-être plus envoûtant encore que par le passé - mais par la qualité de ses musiciens : Willie Smith est un accompagnateur attentif, souple dans sa pulsation, incisif dans ses relances, soulignant le contretemps avec une élasticité exemplaire (pour l’anecdote : il est l’un des rares batteurs à marquer le tempo sur la grande cymbale avec la main gauche) Luther «Guitar Junior » Johnson (successeur de Luther « Snake » Johnson) prend trois étincelants chorus dans Baby please don’t go et redouble de swing dans Can’t get no grindin’ ; le pianiste Pinetop Perkins, à qui avait incombé la lourde tâche de remplacer Otis Spann, possède un toucher ferme et se montre insistant dans ses accompagnements : son jeu plein, énergique donne toute sa mesure dans ses solos de Blow wind blow et de Can’t get no grindin’. Mais la meilleure interprétation du concert pourrait bien être ce Prison Bound Blues au balancement indolent, ponctué par un after-beat moelleux, où chaque intervenant semble prendre son temps et où Muddy Waters, avec placidité, s’emploie à aérer des phrases autant parlées que chantées.
Le DVD offre trois bonus: l’un, musical, bien enlevé, provenant d’un concert londonien de 1977 (The blues had a baby and they name it rock and roll) et deux brèves interviews de Muddy Waters. La première se déroule sans histoire, mais la seconde ne manque pas de piquant : interrogé par un tout jeune homme qui lui pose des questions de débutant, Muddy se montre d’abord amusé, se moque gentiment de l’apprenti journaliste, mais lorsqu’on lui demande si sa musique est «politique», il fait répéter puis s’irrite (« Sers-moi ça sans détours, mon gars ! ») et met peu après un terme à l’entretien par quelques boutades.
Parmi les DVD de Muddy Waters disponibles, celui-ci offre l’avantage de proposer trois instantanés régulièrement répartis sur une période de dix-sept ans et de révéler, par ce raccourci, la constance d’inspiration d’un artiste majeur dans l’histoire du blues, véritable1e « icône de la musique américaine » selon l’expression utilisée par Bob Margolin dans le livret.
Jacques Canérot
Autoproduit D44010
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 557 (Novembre 2006) pages 16/17
Jumpin’ the blues, One scotch one bourbon, I can’t hold out much longer, Reefer head woman, Great pleasure, Lightnin’, Since my baby been gone, Mean mistreater, Buzz me baby, That ain’t right, Confessin’ the blues.
Si l’on m’avait mis ce disque sous les oreilles sans me montrer l’emballage, j’aurais pensé à de jeunes musiciens noirs américains s’exprimant dans le langage du blues éternel... Eh bien, non, il s’agit de jeunes jazzmen français dont on peut dire banalement: ils ont tout compris ! Mais dont je dirai plutôt qu’ils se sont immergés dans le blues de toujours, sans copie scolaire ni ambiance préfabriquée. Bien sûr, les grands maîtres sont là, derrière les thèmes choisis : McShann, Milburn, Little Walter, Spann, Gillum, etc., comment faire autrement. Mais les éléments fondamentaux qui ne peuvent être reproduits servilement sont bien personnels le feeling, et le swing. C’est la manière d’être, de jouer, de ressentir de ces jeunes musiciens qui étonnent nos oreilles.
Voici donc enregistrés en octobre 2005, Kevin Doublé (hm, chant, g sur 9), Julien Brunetaud (p et chant sur 7), Anthony Stelmaszack (g), Sébastien Girardot ou Vincent Talpaert (b), Serge Rahoerson (ts), Jérôme Etcheberry (tp), Guillaume Nouaux (d). Comme d’habitude (je crois qu’on peut le dire maintenant) l’impeccable batterie de Nouaux emmène tout le monde avec autorité et s’adapte excellemment au caractère de chaque interprétation : la
première vous met d’ailleurs tout de suite dans l’ambiance de) cet épatant petit disque. C’est ensuite le piano virevoltant, très jazz, de Julien Brunetaud qui enrichit la trame musicale et fournit un très vivant accompagnement au soliste. Des deux contrebassistes, Girardot est le plus swinguant. Le guitariste, de qualité constante, est vraiment in the mood. Nos deux souffleurs fournissent des fonds orchestraux (est-ce Etcheberry l’auteur des simples et parfaits arrangements ?) et interviennent peu en solistes : notons un bon solo de Rahoerson ( Chamblee, Sam Taylor) dans That ain’t right et un remarquable Etcheberry, un peu à la Edison (ces inflexions !) dans One scotch; le saxophoniste et le trompettiste assurent aussi très efficacement et joliment les contre-chants qui conviennent derrière les solistes. Je citerai en dernier le « patron »Kevin Doublé qui, à l’harmonica, vous transporte dans le Sud et, au chant, n’est ni crooner ni chansonnier mais vraiment vocaliste de jazz : j’ai été épaté ! A la guitare (Buzz me baby), il est moins extra, c’est propre mais un peu appliqué, il est moins à l’aise.
Ce disque aux couleurs du blues ne fera pas double emploi avec ceux que vous possédez, pour son feeling et son swing, je le répète. On est saisi parfois par le climat de certains morceaux tels que I can’t hold ou bien Reefer head dont la pulsation fait songer à Washboard Sam. Tout est bien, il n’y a pas de faiblesses marquées. L’enregistrement, correct, manque un peu de chaleur.
Contacter K Doublé pour vous procurer ce CD, il en vaut la peine : kevindouble@free.fr ou Tél : 06 32 70 56 87
(Daniel Janissier)
Lauréat : JAZZ ODYSSEY RECORDS
JO JONES, « THE DRUMS » (Jazz Odyssey JOCD 1/2) : Warm up solo, Basics-Gadgets-Effects, Rudiments, Rim Shots-Tom Tom, Home Practice, Two Beat-Four Beat-Three Beat, Drum Solo n° 1, Accompaniment, Latin Rhythms, Rock ‘n’ Roll Rhythms, Making changes, Drum Solo n° 3, Colours, Drum Solo n° 2, Drummers I met, Dancers I met, Caravan (en direct, avec Milt Buckner).
Le pianiste de jazz George Wein a déclaré: « Le batteur le plus important de l’histoire du jazz pourrait bien être Jo Jones ». Il était très certainement l’un des géants, doué d’une créativité étonnante, d’une pulsation incomparable et d’un bon goût sublime. Tout amateur de jazz se devrait de connaître ses talents musicaux, par les enregistrements devenus des iques avec Count Basie ou Lester Youg, entre autres.
En 1973. Louis et Claudine Panassié demandèrent à Jo Jones d’enregistrer en solo, en décrivant sa technique. ses vues sur la musique et ses antécédents de musicien. Le résultat parût en 1974 en deux microsillons Jazz Odyssey qui devinrent très vite une rareté. Les batteurs américains ont parlé pendant des années de cette édition épuisée depuis longtemps, et tous regrettaient que le contenu n’ait pas paru en disque compact. En 2005, Laurent Verdeaux, un ancien adjoint de Louis Panassi6, racheta les droits de Jazz Odyssey, bien décidé à transposer le matériau en CD, en commençant par les sessions Jo Jones.
The Drums » est un monument. Chaque caisse est soigneusement accordée, le son de chaque cymbale bien choisi. La patte du maître, qui utilise les baguettes, les balais, les mailloches et... ses doigts, est preuve à la perfection que la batterie peut être l’un des instruments les plus musicaux.
Les solos de Jones et les démonstrations qu’il fait de ses idées et de ses techniques forment une méthode incomparable pour tout batteur, et les restitutions du d’autres batteurs nous ramènent au début des années 30 comme dans une machine à remonter le temps. Les imitations de Walter Johnson, de Sonny Greer et de Chick Webb sont d’une ressemblance renversante. Jones connaissait chaque nuance de leur .
Il faut écouter lés morceaux où Jones imite les claquettes de Pete ‘TheTapper’, ou Eddie Rector, ou Baby Laurence et Bill Robinson, et ensuite le solo de batterie dans Louise, avec Lester Young et Teddy Wilson ; on constatera que Jones savait s’inspirer des danseurs tout comme des batteurs.
On se laisse fasciner par ce qu’il raconte comme par son de batterie. Le timbre de sa voix et la précision de sa diction nous rappellent Baby Dodds. Même quand il change de sujet sans avertir ou quand sa phrase est incomplète, on est tout à l’écoute. Son récit est plein d’humour, surtout lorsqu’il décrit « les effets de percussion» de l’époque du cinéma muet et quand il fait des astuces bizarres en aparté: (« That was my greatest roll ... you know, like a Chinese egg roll] » (*)
Cet album de deux CD contient tout ce qui était paru en LP en 1974, et aussi plusieurs morceaux inédits, dont des solos de batterie, des démonstrations de batterie de rock’n’roll, de valse ou de musique sud-américaine, ainsi, que des conseils pour répéter chez soi.
Tous les batteurs remercient Laurent Verdeaux et Jazz Odyssey pour l’édition en version CD de ce merveilleux document: Sur le disque, Jo Jones s’exclame, juste après un bijou de solo : «Nice ! ». «Voilà qui est bien! ». C’est aussi notre opinion.
Hal Smith - Traduction R. Richard
(*) «Mon meilleur roulement, comme un rouleau de printemps»:
intraduisible, roll signifiant à la fois rouleau et roulement.
Lauréat: BLUE NOTE pour IKE QUEBEC
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 555 (Août-Septembre 2006) p.23/25
CD 1 - A Light reprieve, Buzzard Lope, Blue Monday, Zonky, Later for the rock, Sweet and lovely, Dear John, Blue Friday, Everything happens to me, Mardi Gras, What a difference a day makes, For all we know, I’ll wind,
CD 2 – If I could be with you, I’ve got the world on a string, Me ‘n’ Mabe, Everything happens to me, All of me, All the way, How long has this been going on, With a song in my heart, Imagination, What is there to say, There is no greater love.
A partir de 1950, les juke-boxes furent convertis à la lecture des disques 45 tours et les producteurs s’adaptèrent très vite à ce dard qui finit par prendre la place du 78 tours. Blue Note sortit ses premiers disques dédiés à ce marché en 1956 et le présent double CD reprend l’intégralité de ceux réalisés sous le nom du saxophoniste ténor Ike Quebec de 1959 à 1962, à l’occasion de trois séances d’enregistrement.
Celles-ci ont pour point commun l’instrumentation qui fréquemment utilisée à cette époque et donnait souvent d’excellents résultats : saxo ténor, orgue et soutien rythmique. Cette formule se révèle parfaite pour mettre en valeur le saxophoniste Ike Quebec, qui bénéficie du soutien de musiciens de premier plan : pour les huit premiers titres, l’excellent Edwin Swanston à l’orgue (qu’Edgar Battle notamment nous a fait connaître dans ses disques Cosmopolitan), le sensationnel Skeeter Best à la guitare, Sonny Wellesley à la basse et Les Jenkins à la batterie - très bons tous les deux ; pour les neuf suivants : Sir Charles Thompson à l’orgue, Milt Hilton à la basse et J.C. Heard à la batterie (on ne peut imaginer meilleur entourage) ; pour les neuf derniers (les seuls à avoir fait l’objet d’une édition LP en sous le titre « A Song In My Heart ») : Earl Van Dyke à l’orgue, Willis Jones à la guitare, Wilbert Hogan à la batterie, Sam Jones à la basse étant ajouté dans cinq plages. Constituée de musiciens un peu moins connus, cette rythmique n’est pas moins stimulante et cette dernière session est même globalement plus réussie que les précédentes, pourtant déjà de très haut niveau.
Ike Quebec est le principal soliste et, aussi bons que soient ses accompagnateurs, l’auditeur ne s’en plaindra pas car Ike Quebec est bien l’un des plus grands saxophonistes ténor de l’histoire du jazz. Son jeu est très inspiré de celui de Coleman Hawkins avec un vibrato moins marqué et sa sonorité chaleureuse est parfaitement rendue par l’enregistrement signé Rudy Van Gelder. Il excelle aussi dans le blues, à tel point qu’il en introduit la coloration dans beaucoup de morceaux, y compris les standards qui constituent la majorité du répertoire joué ici.
Ike Quebec est aussi un compositeur de talent, sachant instiller un climat « funky» dans certaines de ses pièces : Buzzard Lope, A Light reprieve, Me ‘n’ Mabe, Later for the rock et sa version rapide de Dear John (thème apparenté à Night Train).
En réalité, il n’y u aucun déchet dans ce double album : tout ce que joue Ike Quebec est prenant, inspiré et nombre des interprétations peuvent être considérées comme de véritables chefs-d’œuvre notamment Everything happens to me (les deux versions), Imagination (il faut absolument en écouter la version d’Hawkins juste après), Intermezzo (dont le climat fait penser au merveilleux On the Alamo d’Alix Combelle), There is no greater love, What a difference a day makes, Mardi Gras (en tempo plus rapide, où on trouve des réminiscences de Jive at Five.
Ike Quebec, décédé prématurément à 45 ans, en janvier 1963, n’a malheureusement pas laissé une discographie abondante : ces magnifiques enregistrements n’en ont que plus de valeur.
(François Abon)
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 566 (Nov-Déc 2007, p. 13,14)
Frémeaux publie deux CD précieux à vocation pédagogique différant de la production courante et s’adressant aux amateurs désireux de parfaire leurs connaissances. Le plus souvent, le public apprécie la musique en ignorant les détails de sa structure et de son fonctionnement, mais l’amateur passionné cherchera à approfondir la question aussi l’initiation proposée est-elle bienvenue. D’autant qu’elle a été confiée à Jacques Morgantini qui explique toutes les nuances avec sa maestria habituelle. Frémeaux ne pouvait trouver meilleur guide.
Bien sûr, il ne suffira pas de lire en vitesse les explications du très copieux livret et d’écouter de même les plages du CD pour devenir un spécialiste. Il faudra prendre le temps d’assimiler ces subtilités pour ensuite profiter pleinement de la musique en l’écoutant encore mieux.
SAVOIR ÉCOUTER LE BLUES
(Frémeaux & Ass FA 5181)
La musique et le chant permirent aux Noirs déportés en Amérique d’échapper quelque peu à leur funeste condition. Insensiblement, sous diverses influences, ils créèrent leur propre musique d’où se dégagea une forme privilégiée. Colportée par tradition orale, aucune règle n’étant fixée, chaque interprète pouvait l’adapter à sa guise. Ainsi, les faveurs de la communauté allèrent à une structure de 12 mesures bâtie sur une « séquence harmonique quasiment miraculeuse » : trois phrases de 4 mesures, la première répétée une seconde fois avant une troisième en conclusion, schématiquement AAB.
Le tour d’horizon débute donc par cette forme ique de 12 mesures avec en exemples Baby dont tell on me et 60m’ ta Chicago blues de Count Basie chantés pas Jimmy Rushing et Double trouble blues de Hot Lips Page. Dans chacune des phrases de 4 mesures, le vocal n’occupe pas toute la place, une réponse instrumentale vient le prolonger. Lorsque ces blues se déroulent sur tempo lent; on note qu’une pause intervient au cours de chaque phrase chantée
Train tare home de Muddy Waters, Hello Central de Lightnin’ Hopkins, So blue blues de T-Bone Walker, Harvard blues de Count Basie chanté par Jimmy Rushing.
Les blues à refrain apportent une variante : les quatre premières mesures (couplet) changent à chaque chorus, alors que les huit autres (refrain) se répètent. Souvent ces blues comportent des passages avec breaks solo ainsi qu’on l’entend dans les titres venant en exemples You ain't so much a much et Bachelor’s blues de Cousin Joe, The Lady in bed de Lips Page. En fait, le bluesman peut ne pas recourir aux breaks solo et donc chanter en continu : Just a dream de Big Bill Broonzy, Stop breaking down de Sonny Boy Williamson. Il peut aussi modifier l’importance du couplet et le porter à 8 mesures : I’m not the lad de Washboard Sam, Railroad porter blues d’Eddie Vinson.
Quelques fois, le blues adopte une structure de 8 mesures, la première phrase n’étant pas répétée (donc AB) selon le modèle de How long how long blues de Leroy Carr et Nobody in mind de Big Joe Turner. Là encore, la phrase B peut devenir un refrain comme dans le fameux Torride Lite blues de Big Maceo. Sont également évoqués le blues de 16 mesures, le blues dédoublé avec Stump blues de Big BilI Broonzy en exemple, et aussi les formes plus complexes tel Saint Louis blues, de Bessie Smith, qui comporte trois thèmes : un ique blues de 12 mesures chanté deux fois, un thème de 16 mesures et un second blues de 12 mesures diffèrent du premier.
Le CD se termine avec Bottom blues d’Albert Ammons dans lequel apparaissent en solo. Vic Dickenson et Hot Lips Page qui jouent le blues de façon empoignante alors que leur collègue Don Byas, pourtant éminent jazzman, ne possède pas l’accent ni le feeling.
(André Vasset)
Chronique publiée dans le Bulletin HCF N° 566 (Nov-Déc 200) p.14/15
Frémeaux publie deux CD précieux à vocation pédagogique différant de la production courante et s’adressant aux amateurs désireux de parfaire leurs connaissances. Le plus souvent, le public apprécie la musique en ignorant les détails de sa structure et de son fonctionnement, mais l’amateur passionné cherchera à approfondir la question aussi l’initiation proposée est-elle bienvenue. D’autant qu’elle a été confiée à Jacques Morgantini qui explique toutes les nuances avec sa maestria habituelle. Frémeaux ne pouvait trouver meilleur guide.
Bien sûr, il ne suffira pas de lire en vitesse les explications du très copieux livret et d’écouter de même les plages du CD pour devenir un spécialiste. Il faudra prendre le temps d’assimiler ces subtilités pour ensuite profiter pleinement de la musique en l’écoutant encore mieux.
SAVOIR ÉCOUTER LE JAZZ
(Frémeaux & Ass FA 5182)
Cette initiation à l’écoute du jazz sera appréciée aussi bien par l’amateur nouveau venu que par celui qui jusque-là s’est contenté d’une écoute bienveillante mais superficielle. En douze pages du livret, Jacques Morgantini fournit l’essentiel des bases indispensables. Après avoir évoqué les origines du jazz, ses caractéristiques (rythme, mélodique, swing, improvisation), la composition et le fonctionnement d’un orchestre, le professeur entre dans les détails et en arrive aux travaux pratiques. Les enregistrements alignés sur le CD illustrent chacun des points examinés.
Les commentaires et l’écoute débutent avec le Nouvelle-Orléans et l’improvisation collective sur e modèle de Gettysburg March de Kid Ory. Pour la même rubrique, dans un registre magistral, Louis Armstrong intervient avec l’éblouissant Potato head blues et son fameux stop chorus ; ensuite se trouve un moment rare d’improvisation à cinq avec Oh Didn’t He Ramble de Jelly Roll Morton.
Très rapidement les grands orchestres se multiplièrent et nécessitèrent le recrutement d’un arrangeur pour organiser la musique des différentes sections où vont s’insérer les interventions des solistes. Duke Ellington se révèle un maître dans l’art de modeler la matière sonore, exemple Dusk.
Il convient de rappeler que, dans les années 20, les interprétations étaient souvent plus élaborées qu’elles ne le devinrent ensuite. Outre le refrain, les musiciens utilisaient alors fréquemment le couplet (verse), pratique qui a quasiment disparu. De surcroît, il n’était pas rare que plusieurs thèmes se succèdent dans un même titre. Par ailleurs, il faut noter également que des procédés typiques sont tombés en désuétude : stop chorus, interlude, breaks... A propos du recours aux breaks (phrases jouées sans accompagnement) qui pimentent de manière excitante les interprétations, plusieurs exemples sont proposés C Jam blues de Duke Ellington, Kaiser’s last break de Mezzrow-Bechet, The King de Count Basie, Bye and bye de Louis Armstrong, Star dust de Lionel Hampton, Wild Man blues de Sidney Bechet.
Les interprétations sont basées sur un thème à partir duquel se développe l’improvisation en respectant la structure harmonique. Certains morceaux comportent plusieurs thèmes tel Black and tan Fantasy de Duke Ellington (thèmes de 12, 16 et 12 mesures). Les morceaux les plus communément employés, outre le blues, sont les thèmes de 32 mesures avec pont (AABA) : Doggin’ around et Rock-a-bye Basie de Count Basie, Wednesday night hop d’Andy Kirk, Christopher Columbus de Fletcher Henderson, Riding on 52nd Street de Coleman Hawkins (ce dernier titre utilise exceptionnellement le couplet). Il existe bien d’autres formes, notamment des 16 mesures avec pont (Dusk et Stompy Jones de Duke Ellington), des 32 mesures sans pont (Sidewalks of New York et Margie de Duke Ellington), des 16 mesures sans pont (Portrait al the Lion de Duke Ellington), des 16 mesures avec queue (Baby won’t you please come home de Louis Armstrong), etc.
Les informations brillamment prodiguées par Jacques Morgantini dans le livret (notamment le déroulement de chacun des enregistrements est minutieusement détaillé) mises en lumière par la musique du CD feront forcément progresser l’amateur dans sa connaissance du jazz.
André Vasset
par Eddy DETERMEYER
The University of Michigan Press, 2006. (23,5 x 16 cm).
331 pages. 26 photos noir & blanc hors texte. Relié avec jaquette. En anglais.
ISBN 0-472-11553-7
Chronique publiée dans le Bulletin du HCF N° 562 (Juin 200) p. 27-30
Eddy Determeyer, journaliste et homme de radio d’origine néerlandaise, consacre un passionnant ouvrage au parcours et à l’oeuvre d’un des plus prestigieux orchestres de l’histoire du jazz. Disposant d’une masse impressionnante d’archives, de documents et de témoignages, l’auteur retrace avec minutie la vie de Jimmie Lunceford (1902-1945) et des musiciens qui l’ont accompagné tout au long de sa carrière. Il analyse également les enregistrements les plus importants et dresse, en fin de volume, une précieuse discographie qui fournit à l’amateur dates, lieux, personnels, éditions originales et rééditions (LP et CD).
Notes et index complètent comme il se doit cette biographie de Lunceford qui « propose une vue particulièrement complète du monde de ce personnage unique en rassemblant de multiples témoignages, anecdotes et opinions... Un livre essentiel absolument remarquable ».
Alain Carbuccia