Send for me, Blues from hell, Good old days, Rats in my kitchen, Thang shaker, Inflation blues, Miss Celie’s blues, Come home, Reggae woman, Rock with you, Route 66, Outside lookin’ in.
L’histoire de ce disque reste vraiment ahurissante. Dans le livret, Roy Gaines raconte comment il s’est ruiné afin de réaliser le projet qui lui tenait à coeur : réunir autour de lui un grand orchestre afin d’enregistrer un album de blues. Roy Gaines saisit l’occasion pour redire sa gratitude envers Hugues Panassié qui le fit connaître en France lorsque parut le LP Amadeo-Vanguard If This Ain’t the Blues de Jimmy Rushing, artiste qui semble l’avoir fortement marqué. La chronique de l’édition américaine de ce fameux album se trouve dans le Bulletin 81, puis un article relatif à son jeune et talentueux guitariste suivit dans le Bulletin 84. La sortie en France du LP étoffa fortement les commentaires du Bulletin 90, enfin le numéro suivant annonçait le couronnement de l’album par le Grand Prix du hcf 1959.
En décembre 2008, Roy Gaines a donc réuni un contingent de musiciens californiens lui permettant d’assembler une grande formation. Ainsi entouré, il retrouve les excitantes possibilités qui s’offraient jadis à un artiste tel Jimmy Rushing, des conditions disparues aujourd’hui mais qu’il avait connues à ses débuts. Les arrangements, exécutés avec précision, sonnent très proprement, la rythmique fournit une pulsation convenable et, hormis la guitare du chef, peu de solistes interviennent, ce qui paraît fort prudent. Cet entourage permet à Roy Gaines de développer son jeu de guitare resté superbement attrayant et son vocal toujours expressif. L’album s’ouvre sur Send for me, un succès de King Cole, exposé par l’orchestre avec commentaires de guitare en marge. Roy, puissant et persuasif, chante trois chorus, le premier avec contre-chant de piano, les deux suivants ponctués par sa guitare ; suivent un chorus d’ensemble, un chorus de guitare aux inflexions prenantes et, pour conclure, deux chorus chantés et toujours ornés d’une vibrante partie de guitare. Toutes les plages, d’une durée de 5 à 6 minutes, avec une bonne ration de blues, présentent une routine à peu près semblable, excepté Rock with you, seul instrumental du lot, qui offre un intérêt fort mince.
Blues from hell et les trois titres suivants, tous excellents, portent la signature de Roy Gaines. Son vocal péremptoire et ses deux chorus de guitare mobiles et sinueux dans Blues from hell se déroulent en tempo semi-lent sur un confortable fond orchestral. Good old days, blues en tempo moyen, est longuement chanté de façon vigoureusement enlevée ; là, Roy n’utilise sa guitare que pour un chorus, le même espace est réservé au pianiste Art Hillary et à un des trompettes, George Pandis. Au contraire, Roy Gaines utilise longuement sa guitare dans le blues Rats in my kitchen, également en tempo moyen, où elle fournit une réplique vive et variée au vocal, puis brille dans trois chorus superbement swingués. De même, dans le truculent Thang shaker, la guitare reste très présente à l’accompagnement et dans un solo plein d’imprévu.
La plage suivante propose une bonne version du fameux blues de Louis Jordan, Inflation blues, redevenu d’actualité brûlante, où, dès le début, le chanteur proteste : Now listen Mr. President all your congressmen too. You’ve got me all prostrated and I don’t know what to do… La guitare reste assez discrète dans ses répliques au vocal mais brille dans son chorus. Elle semble absente de Miss Celie’s blues, chanson du film The Color Purple auquel participa Roy Gaines, et, sans doute pour recréer son atmosphère, l’interprétation comporte un passage façon dixieland. Dans Reggae woman, version personnelle du Calypso blues de King Cole, la guitare percutante et le vocal swinguent de façon enthousiasmante, soutenus par des riffs stimulants. Roy chante avec vigueur Route 66 sur un bon accompagnement orchestral, et sa guitare apparaît dans deux chorus ; piano, saxo alto, saxo ténor interviennent également en solo. Deux autres titres dus à Roy Gaines, Come home, dans le genre sentimental, et Outside lookin’ in offrent un intérêt moindre.
Voilà un excellent album dû à l’acharnement d’un talentueux guitariste et chanteur heureux de se replonger quelque peu dans l’atmosphère exaltante qui s’offrait aux jazzmen à l’époque de la splendeur de Count Basie.
André Vasset (Bulletin du HCF N°607 - Janvier 2012)
Dickie’s dream, Blue Michel, Taxi war dance, Oh !lady be good, Swingin’ the blues, One o’clock jump, A ghost of a chance, I never knew, Tickle toe, Lester leaps in, Rock a bye Basie, Jumpin’ at the Woodside.
Sous la supervision de Dominique Burucoa, le label Jazz aux Remparts a pris l’heureuse initiative d’enregistrer le grand orchestre de Michel Pastre lors de sa venue à Bayonne en novembre 2009. Ce sont les faces gravées alors qui viennent tout juste d’être publiées.
On a encore en mémoire le premier opus de l’orchestre gravé en 2001, Diggin’ the Count, de la belle ouvrage. Le même esprit a présidé à la réalisation de ce disque qui est un hommage à Count Basie mais aussi à Lester Young. Les arrangements léchés et swingants sont dus à la talentueuse plume de François Biensan ; quant à la musique, elle est portée par des solistes de premier plan. À commencer par le chef, le saxophoniste ténor Michel Pastre, auquel la rondeur de la sonorité et la richesse du jeu confèrent un indéniable statut de grand du saxophone : Blue Michel, Oh!lady be good, One o’clock jump, Rock a bye Basie, ainsi que son concerto pour saxophone ténor et orchestre sur le pulpeux A ghost of a chance. Le pianiste Pierre Christophe assure un soutien sans faille à l’accompagnement et ses solos sont fort joliment tournés, comme dans Dickie’s dream, One o’clock jump et I never knew. Quant au trombone Patrick Bacqueville, on ne peut que louer sa grande technique, toujours au service de la mélodie, ainsi que son sens de l’improvisation : Taxi war dance où il joue bouché, Oh ! lady be good, Swingin’ the blues et One o’clock jump. Le trompettiste François Biensan est tout aussi remarquable, particulièrement en valeur sur Rock a bye Basie, Jumpin’ at the Woodside, très incisif sur Swingin’ the blues, saignant sur One o’clock jump. Bien que non cités, les autres solistes ne déméritent pas. Mention spéciale pour la prestation du bassiste Raphaël Dever qui apporte une solide assise à l’orchestre, mais aussi au batteur François Laudet, au jeu précis, au tempo robuste, qui tient avec fermeté la « baraque » : Swingin’ the blues, Taxi war dance, One o’clock jump, avec un impeccable solo sur I never knew. Le concernant, j’aurais toutefois une réserve à faire, car à mon goût, et d’une façon générale, la batterie a été enregistrée un peu trop en retrait.
Ce disque présente une grande homogénéité dans le choix des thèmes proposés, tous de bonne facture : difficile donc de choisir entre tel ou tel. Pour n’évoquer que les titres les plus marquants, notons Taxi war dance pour les interventions musclées de Michel Pastre entrecoupées de riffs orchestraux bien sentis, ainsi que pour le drumming appuyé de François Laudet ; I never knew, remarquable par le tutti de la section des saxophones, et Tickle toe, une des plus belles compositions de Lester Young, où l’orchestre insuffle au thème un drive à la fois souple et puissant. Et, bien sûr, A ghost of a chance, pour la maestria de l’interprétation de Michel Pastre.
Vous l’aurez compris, c’est un disque qui se doit de figurer dans toute bonne discothèque.
Christian Sabouret (Bulletin du HCF N°604 - Octobre 2011)
Viper’s drag, In the wee small hours of the morning, Liza, Mule walk, Anitra’s dance, Blues for Alfie, Handful of keys, Roberto Clemente, Shout for joy, Everything happens to me, Bach up to me, St. Louis blues, Champs-Élysées, I ain’t got nobody, Nothin’, Echoes of spring, Truckin’, Hallelujah, Harlem strut.
Un joli disque ! Lorsque nous avons en main un disque de jazz d’un artiste de formation classique, de piano par exemple, nous sommes certains d’entendre un jeu techniquement sûr, un toucher léger, un bon contrôle des sonorités de l’instrument, mais nous ne savons rien, au départ, du phrasé jazz, de l’art de l’attaque et des transitions, du feeling propre à cette musique et, bien sûr, du swing. Nous pouvons donc nous attendre à une exécution propre, irréprochable d’un certain point de vue, agréable,mais étrangère en fait à ce que le disque prétend…
La jeune Stephanie Trick a fait, en peu d’années, de remarquables progrès sur tous les points que je relevais : ce CD, enregistré en direct à St. Louis, Missouri, en mai 2010, en est le témoignage. Nourrie aux meilleures sources (Fats Waller, James P. Johnson, Albert Ammons, Donald Lambert, Willie Smith), elle connaît aussi les grands représentants du piano jazz contemporain (Dick Hyman, Ralph Sutton, Bernd Lhotzky, Louis Mazetier) : sa sensibilité et son talent ont fait le reste.
Très vite, l’auditeur apprécie un toucher nuancé, un clavier qui respire, une capacité évidente à dégager le chant - In the wee small hours - ainsi qu’une ligne ferme, sans temps morts ni hésitations ; et le swing est au rendez-vous en de nombreuses pièces, en souplesse et en finesse d’accentuation - Shout for joy, Truckin’, Harlem strut -. Tout au plus peut-on relever une très légère instabilité du tempo dans Blues for Alfie ou Handful of keys, non gênante. La jolie ballade In the wee small hours est jouée avec beaucoup de sensibilité, tout comme Roberto Clemente, mais montre aussi que l’approfondissement du feeling du jazz n’est pas encore totalement gagné et que ce merveilleux piano laisse encore percer l’esprit classique ; ce qui n’est pas à proprement parler un reproche. Les deux pièces peuvent faire penser ainsi à la musique du compositeur américain Louis Moreau Gottschalk(1829-1869), « Chopin d’Amérique » disait-on. Légèreté et variété du boogie dans Shout for joy, et Everything happens avec quelque chose du Lion. L’énergie et la précision de l’articulation font vivre le titre suivant et le dernier, où le tempo n’inquiète ni la pianiste… ni l’auditeur. Vous remarquerez aussi la très jolie manière dont Stephanie Trick fait sonner l’aigu de son clavier en fin de I ain’t got nobody, ainsi que le traitement original de la chanson de Joe Dassin, Champs-Élysées.
Les idées personnelles ne manquent pas. Certains morceaux, cependant, sont respectueux du cadre de la tradition ou de l’excellence, tels Mule walk (James P. Johnson, 1943) ou Handful of keys (Fats Waller, 1928), mais Echoes of spring, qui semble « paralyser » bien des pianistes sans doute à cause de la perfection de la pièce et de l’intensité de son chant, présente quelque apport de Stephanie Trick : rubato autre, intonation, notes additionnelles, etc., beaucoup de goût et le sens de la poésie, indéniablement. Souhaitons à cette jeune musicienne d’aller plus loin encore dans cette voie : nous aimerions l’entendre en orchestre où le piano a le rôle difficile de l’accompagnement.
Quand je vous aurai dit que l’instrument est parfaitement capté, vous n’aurez plus d’hésitations pour acquérir ce CD.
Daniel Janissier ( Bulletin du HCF N°598 - Février 2011)
- CD1 (SJA 2001) : REX STEWART – RENDEZVOUS WITH REX: Tillie’s twist, Pretty ditty, Tell me more, Trade winds, My kind of gal, Blue echo
- CD2 (SJA 2002) : EARL HINES – EARL’S BACKROOM : Brussels’ hustle, Oooh !, Backroom at the Villa d’Este ; COZY COLE – COZY’S CARAVAN : Caravan, Phatz’ blues, Margie
- CD3 (SJA 2003) : BUSTER BAILEY – ALL ABOUT MEMPHIS : Bear wallow, Hatton Avenue and Gayoso Street, Sunday parade, Beale Street blues, Memphis blues, Chickasaw bluff, Hot water bayou
- CD4 (SJA 2004) : BUDDY TATE – SWINGING LIKE TATE: Bottle it, Walk that walk, Miss Sadie Brown, Moon eyes, Rockin’ Steve, Rompin’ with Buck
- CD5 (SJA 2005) : COLEMAN HAWKINS : THE HIGH AND MIGHTY HAWK : Bird of prey blues, My one and only love, Vignette, Ooh-wee Miss G.P. !, You’ve changed, Get set
- CD6 (SJA 2006) : DICKY WELLS – BONES FOR THE KING : Bones for the King, Sweet daddy spo-de-o, You took my heart, Hello Smack !, Come and get it, Stan’s dance
- CD7 (SJA 2007) : BUDD JOHNSON – BLUES À LA MODE : Foggy nights, Leave room in your heart for me, Destination blues, Blues à la mode, Used blues, Blues by five. Bonus : Foggy nights (version mono)
- CD8 (SJA 2008) : BILLY STRAYHORN – CUE FOR SAXOPHONE : Cue’s blue now, Gone with the wind, Cherry, Watch your cue, You brought a new kind of love to me, When I dream of you, Rose room
- CD9 (SJA 2009) : DICKY WELLS – TROMBONE FOUR-IN-HAND : Blue moon, Airlift, It’s all over now, Wine-O Junction, Heavy duty, Short tall fat small, Girl hunt.
Voici rassemblés en un coffret de neuf CD les fameux enregistrements supervisés par Stanley Dance pour la marque Felsted. Cela représente seize séances new-yorkaises allant du 28 janvier 1958 au 22 avril 1959, avec en plus celle organisée par Yannick Bruynoghe à San Francisco (Earl Hines Quartet). Chacun des CD du coffret reproduit l’un des neuf microsillons Felsted originaux. Un livret de quarante-quatre pages inclus dans le coffret reprend les notes originales de Stanley Dance, textes très instructifs sur les artistes et leurs interprétations. Stanley Dance avait su choisir des musiciens appartenant au « gotha » du jazz et la mayonnaise avait pris, ce qui de prime abord n’était pas évident. Le principal point faible est Curtis Lowe dans la séance Earl’s Backroom: assez plaisant au ténor, il ne s’avère guère passionnant au baryton. On pouvait aussi s’attendre à des moments plus enthousiasmants concernant le disque de Hawkins, mais le ‘Bean’ se montre irrégulier, loin d’atteindre en permanence son plus haut niveau. Dickie Wells de son côté, avec la manie des « notes bizarres » qui l’avait saisi quelques années auparavant, n’est pas souvent inspiré. Hugues Panassié avait largement parlé de ces disques à leur parution et nous ne voyons rien à redire sur la pertinence de ses critiques, sinon qu’avec le temps ces séances, comme certains vins, se sont plutôt bonifiées. Comme les chroniques originales figurent dans des Bulletin(s) très anciens, voici quelques notes sur chacun de ces neuf disques.
- CD 1. Sous la direction de Rex Stewart, ce CD comporte, comme la plupart des disques Felsted de Stanley Dance, deux sessions distinctes. La première formation (plages 2, 3 et 5) est particulièrement swingante avec Willie Smith Le Lion au piano (sauf dans la plage 5) et Arthur Trappier à la batterie. Elle met en valeur George Clark (ts), Haywood Henry (bs et cl) et le trombone George Stevenson dont c’est un des meilleurs disques. La seconde formation, avec une rythmique moins efficace, s’attache plus à l’aspect mélodique de la musique où excellent Rex Stewart et Hilton Jefferson. Tous les morceaux du recueil sont de plaisantes compositions de Rex.
- CD 2. Les trois premiers morceaux sont joués par un quartet dirigé par Earl Hines avec une bonne rythmique menée par le batteur Earl Watkins. Ils seraient parfaits sans les solos bien médiocres du saxophoniste Curtis Lowe. Heureusement Earl, dont l’inspiration foisonne tant en solo qu’à l’accompagnement, rattrape bien des choses. Les trois autres faces sont interprétées par une petite formation dirigée par Cozy Cole. On y entend le brillant guitariste et chanteur Dickie Thompson, de bons solos de trombone du méconnu Phatz Morris, mais c’est Cozy qui se taille la part du lion avec un long et formidable solo de batterie parfaitement construit sur Caravan.
- CD 3. Ce plaisant recueil est consacré au clarinettiste Buster Bailey, que l’on trouve soit avec une petite formation préfigurant les Saints and Sinners dont il fut l’un des fondateurs, soit en quartet avec la même rythmique. C’est Jimmy Crawford qui tient la batterie, avec quel swing ! Buster n’est pas toujours d’une inspiration constante, mais le positif l’emporte nettement (Beale Street blues), et il y a de fort bons solos de Vic Dickenson, Hilton Jefferson, Herman Autrey et Red Richards.
- CD 4. La première moitié du disque est occupée par l’orchestre régulier de Buddy Tate avec Walk that walk et Miss Sadie Brown, deux blues en tempo moyen très réussis, arrangés avec simplicité mais efficacité, où Buddy donne toute sa mesure. Dans la seconde moitié c’est, toujours avec Buddy, un orchestre de studio à la composition alléchante, mais qui n’a pas une aussi bonne cohésion. Les solos sont heureusement brillants (Buddy, bien sûr, mais aussi Buck Clayton et Earl Warren), seul Dickie Wells n’est guère inspiré.
- CD 5. Coleman Hawkins est ici entouré de la même formation tout au long du disque. Le pivot de la rythmique, la batterie, est hélas aux mains d’un batteur au swing faiblard, Mickey Sheen. Le jeu de Hawkins s’en ressent et n’atteint pas toujours son meilleur niveau. Royal dans My one only love et You’ve changed, il est irrégulier dans les autres faces. Buck Clayton, lui, est constamment inspiré (Bird of prey blues). Ray Brown, sur lequel repose ce qui reste de la pulsation, joue remarquablement ; notez son habile et original solo sur Bird of prey.
- CD 6. Avec la même section rythmique, Skip Hall (org/p), Major Holley (b) et Jo Jones (d), nous avons à nouveau deux formations : d’une part un quatuor de trombones (Dickie Wells, Emmett Matthews, Benny Morton et Vic Dickenson) et d’autre part un ‘all stars’ comprenant Dickie Wells (tb), Buck Clayton (tp), Buddy Tate (ts) et Rudy Rutherford (bs, cl). Les trois plages en quatuor sont très réussies, avec des arrangements et des riffs d’ensemble bien envoyés et de bons solos (à l’exception de Dickie toujours irrégulier). Les interprétations du ‘all stars’ sont plus inégales (les solos de Dickie ne sont pas meilleurs et ceux de Rutherford rébarbatifs).
- CD 7. Ce CD constitue le sommet de la série : tout amateur de jazz devrait l’avoir dans sa discothèque. Si ce n’est pas votre cas, vous n’aurez plus d’excuse, car à lui seul il vaut l’achat du coffret. Jugez-en par le personnel : Harold Baker (tp), Quentin Jackson (tb), Russell Procope (cl), Johnny Hodges (as) qui se cachait sous le pseudonyme de Cue Porter, Billy Strayhorn (p), Al Hall (b) et Oliver Jackson (d). Et il n’y a aucun déchet. Hugues Panassié, dans sa chronique du Bulletin 113, concluait par ces mots en majuscules : « UN DISQUE À NE PAS RATER ».
- CD 8. On retrouve ici le système des deux formations : Budd Johnson (ts), Charlie Shavers (tp), Ray Bryant (p), Joe Benjamin (b), Jo Jones (d) pour la première, et pour la seconde le pianiste/organiste Bert Keyes remplaçant Ray Bryant, et Vic Dickenson s’ajoutant au groupe. C’est encore un disque agréable à mettre au crédit de Stanley Dance, d’un niveau certes moins élevé et plus inégal que le volume 7 ; mais il contient pas mal de bons solos et met en valeur ce musicien sous-estimé qu’est Budd Johnson.
- CD 9. L’aventure des disques Felsted se termine avec ce recueil où nous retrouvons Dickie Wells avec le même quatuor de trombones que dans le CD 6, à cette différence près que le guitariste Kenny Burrell intervient dans les trois premiers morceaux et que Jo Jones est remplacé par Herbie Lovelle. Bien que ce dernier soit intrinsèquement inférieur à Jo, son solide ‘back beat’ s’adapte mieux à la musique de Dickie, si bien que ce disque est plutôt meilleur que l’autre. Parmi les trombones, c’est Vic Dickenson qui se montre le plus inspiré, mais Dickie Wells a de bons moments dans Wine-O junction et Girl hunt où Skip Hall joue en ‘stride’ une alerte série de chorus.
Si nous avons un conseil à vous donner, c’est d’aller sans délai acheter ce copieux coffret et de le déguster comme un bon bordeaux.
Jean LABAYE et Dominique BRIGAUD - Bulletin du HCF
- Voir aussi Les Sessions Felsted de Stanley Dance par Charles Bashung - Bulletin du HCF N°607 - Janvier 2011
JAZZ A LIMOGES
par
Claude-Alain CHRISTOPHE
Editions de L'Harmattan 2011
219 pages, 70 photographies
Dans un Guide pour les jeunes voyageurs en France paru en Angleterre dans les années 80, la ville de Limoges « était décrite comme la capitale des arts du feu, mais aussi du jazz ! », peut-on lire à la page 130 de Jazz à Limoges. Distinction non usurpée, comme en témoigne, à la fin de l'ouvrage, l'impressionnante liste des concerts organisés par le Hot Club de cette ville, dont Claude-Alain Christophe s'est fait l'historien. Pour mener à bien ce travail, il a non seulement consulté les archives locales et puisé dans ses propres souvenirs, mais également utilisé les longs entretiens qu'il a menés avec les deux principaux artisans de cette « saga » : Roger Blanc et Jean-Marie Masse.
Après une introduction qui analyse avec pertinence les particularités du langage musical appelé jazz, l'auteur consacre un chapitre à Roger Blanc (1913-2007). Dentiste, pianiste et trompettiste, il a dès son adolescence, en 1928, la révélation du jazz et le fera connaître aux Limougeauds grâce à une émission de radio qu'il animera chaque semaine de février à juillet 1938. Disparu à quatre-vingt-quatorze ans, « dont quatre-vingts ans d'amour du jazz [...], il avait été un des premiers à découvrir l'originalité et les qualités de cette musique » (p. 26). Viennent ensuite trois chapitres sur la vie et l'oeuvre fondatrice de Jean-Marie Masse, créateur en 1948 du Hot Club de Limoges et depuis lors son président. Homme aux multiples talents, il n'a que dix-sept ans (il est né en 1921) lorsqu'en 1938, il expose ses premières toiles et commence à songer à une carrière d'artiste peintre. Mais, à la même époque, la découverte du jazz (via l'émission de Roger Blanc) puis sa rencontre avec Hugues Panassié (qui l'héberge à Montauban en 1944 avec d'autres réfractaires au STO) vont profondément et durablement orienter le cours de sa vie. Après la guerre, il apprend, sous la férule de Jerry Mengo, à jouer de la batterie, devient musicien professionnel au sein d'un orchestre de danse dirigé par Pierre Guyot, anime et bientôt produit des émissions à Radio Limoges. Le couronnement d'un tel dynamisme sera, le 26 janvier 1948, la création officielle du Hot Club de Limoges : Rex Stewart, qui s'est produit sur scène quelques jours auparavant, en sera le premier président d'honneur. Voici en quels termes Claude-Alain Christophe dresse le bilan de cette activité débordante : « Premiers concerts de grands jazzmen à Limoges, création du Hot Club, [...] abandon de la peinture comme activité principale, début en tant que musicien professionnel et aussi comme producteur de radio, ce qui va devenir son second métier : on peut dire que l'année 1948 aura marqué un tournant dans la vie de Jean-Marie Masse » (p. 78).
À partir de ce moment, la plupart des grands musiciens de jazz viendront à Limoges pour des concerts mémorables ; à Rex Stewart succèderont (la liste est loin d'être exhaustive !) Don Byas, Bill Coleman, Buck Clayton (tous deux coprésidents d'honneur après le décès de Stewart), Lionel Hampton, Duke Ellington, Willie Smith « Le Lion », Earl Hines, Milt Buckner et Jo Jones, Illinois Jacquet (autre président d'honneur du Hot Club), des bluesmen comme Big Bill Broonzy, Memphis Slim, Mickey Baker, les chanteuses Linda Hopkins, Carrie Smith et, pour le gospel, Sister Rosetta Tharpe, les Stars of Faith, ou plus récemment le groupe féminin New Spirit, sans oublier les Français Alix Combelle, Guy Lafitte, Claude Bolling, Michel Attenoux, Paul Chéron et le Tuxedo Big Band, etc. etc. Chaque fois, l'auteur nous entraîne dans les arcanes de l'organisation des concerts, nous fait découvrir les coulisses du spectacle et partager l'intimité des artistes. Enfin, il raconte en détail « l'aventure de Swing FM », la seule radio qui, depuis 1992, diffuse du jazz 24 heures sur 24 et qui, grâce à son site Internet, peut toucher les auditeurs du monde entier. Mais il y a encore bien d'autres choses passionnantes dans Jazz à Limoges : par exemple, au chapitre VII, intitulé « Souvenirs, portraits et anecdotes », on apprend que Wellman Braud, lorsqu'il voyageait en train, installait toujours sa contrebasse dans les toilettes et l'attachait avec l'essuie-mains, on découvre l'origine du pseudonyme (Vernon Sullivan) utilisé par Boris Vian pour signer J'irai cracher sur vos tombes, ou bien l'on suit avec délectation les mésaventures d'Albert Nicholas et de son briquet qui joue Star Dust quand on l'allume !
Jazz à Limoges, illustré par plus de soixante-dix photos, est donc un livre important parce que, dans un posé et clair, Claude-Alain Christophe explore et analyse un pan de l'histoire du jazz en France et prouve qu'il n'y a pas qu'à Paris que se fait et s'écrit son aventure.
Alain Carbuccia - Bulletin du hcf 605 - Novembre 2011
RAY CHARLES
LIVE IN FRANCE 1961
Archive INA
Filmé sous la direction de Jean Christophe Averty
Reelin' In The Years Productions EREDV904
18 juillet 1961 : The story, Doodlin', One mint julep, Let the good times roll, Georgia on my mind, Sticks and stones, Hallelujah I love her so, What'd I say ; 22 juillet 1961 : Hornful soul, Let the good times roll, Georgia on my mind, My Bonnie, With you on my mind, Ruby, Tell the truth, I wonder, Sticks and stones, I believe to my soul, What'd I say. Titres bonus : 19 juillet 1961 : The story, Sticks and stones, Yes indeed, I believe to my soul, What'd say ; 21 juillet 1961 : I wonder.
C'est en juillet 1961 que Ray Charles, âgé de trente et un ans, vient en Europe pour la première fois à l'occasion du festival de jazz d'Antibes-Juan-les-Pins dont le présent DVD se fait partiellement l'écho. Le Genius (au piano) se présente ici avec son septette régulier1 : deux trompettes (Phillip Guilbeau, John Hunt), trois saxos (Leroy Cooper, Ray Crawford, David 'Fathead' Newman), un bassiste (Edgar Willis) et un batteur (Bruno Carr), auxquels s'ajoute le quatuor des Raelets (Gwen Berry, Margie Hendrix, Pat Lyles, Darlene McCrea). Les concerts, filmés sous la direction de Jean-Christophe Averty et retransmis à l'époque par la RTF, n'avaient jamais fait l'objet d'une publication en DVD.
Le programme, bonus compris, emprunte à quatre séances : de là quelques répétitions de titres, exécutés sans variantes notables. Tous les thèmes nous sont aujourd'hui familiers par le disque, la plupart réédités à l'infini ou édités dans des versions différentes, mais, replacés dans le contexte, certains faisaient presque figure de nouveautés, y compris Georgia dont les premières mesures sont loin d'être saluées par les applaudissements nourris qui deviendront la norme. Il n'y a guère que The story pour avoir peu encombré les microsillons : cette interprétation est d'ailleurs la moins palpitante car, placée en ouverture de deux concerts, elle permet surtout de présenter l'orchestre et constitue une « séquence d'échauffement » avec défilé des souffleurs à la cadence d'un par demi-chorus.
À l'exception de ce dernier thème, le répertoire donne rarement aux musiciens l'occasion de briller en solo. David Newman, le seul vraiment sollicité, se voit confier plusieurs interventions au ténor ainsi que l'obbligato de flûte attendu sur Georgia. Avec son jeu robuste, son attaque ferme, ses phrases découpées avec netteté, parfois ses accents de « prêcheur » (Yes indeed), il se montre particulièrement à l'aise sur Doodlin' (deux chorus éloquents), Hallelujah I love her so (un chorus incisif), My Bonnie et Tell the truth.
L'ensemble des programmes est, comme il se doit, réservé à Ray Charles. Si l'on s'attarde en priorité sur Hornful soul, c'est que ce blues en tempo moyen-lent fait bénéficier d'un copieux solo de piano : six chorus captivants, sans le moindre étalage de virtuosité, au long desquels le clavier ne cesse d'être percuté et malaxé de façon harcelante en vue d'une expressivité maximale, avec pour tout « effet », en fin de développement, un emploi efficace du 'block chord ' et du riff insistant. Bien que n'atteignant pas ce degré d'intensité, les deux chorus de Doodlin' (encadrés par un arrangement de Quincy Jones) sont balancés en souplesse, et les trente-deux mesures du rapide Sticks and stones (aux breaks générateurs de swing) sont déroulées avec une vigueur saisissante.
Ray Charles chante la quasi-totalité des thèmes et, à cette époque, l'influence (assumée) de King Cole affleure encore dans des ballades comme With you on my mind et Ruby. Mais le reste du programme confirme l'originalité de cette voix aux intonations multiples : tantôt éraillée et enflammée (Let the good times roll), tantôt poignante (I believe to my soul), ailleurs suppliante, recourant au falsetto et à un vibrato parfois aux limites de la cassure (Tell the truth). Ray Charles apprécie en particulier ces tempos lents, voire ultra-lents, engendreurs d'ambiances envoûtantes : témoin I wonder et, par-dessus tout, les deux versions de Georgia, empreintes d'une profonde émotion, où la voix se charge des nuances les plus diverses (confidentielle, écorchée, plaintive, nostalgique...). À l'opposé, la véhémence peut l'emporter (Yes indeed), notamment lors de ces codas prolongées à plaisir (Hallelujah I love her so), parfois dialoguées avec le choeur (Sticks and stones).
Concernant les Raelets, si les commentateurs des disques et des concerts de Ray Charles n'omirent jamais de signaler leur présence, ce fut souvent sans insister sur la singularité de leur rôle, pourtant à cent lieues de celui de choristes décoratives. Non seulement elles faisaient partie intégrante du spectacle Ray Charles , installées au centre de la scène et au plus près de la rampe, groupées autour du même micro (en coeur ?), mais leurs interventions prenaient sens dans les dialogues qu'elles instauraient avec le chanteur (le provocant What'd I say est resté la référence) et dans les échos qu'elles apportaient à ses paroles sous forme de répétitions insistantes à la manière de riffs (With you on my mind, Sticks and stones). Leur participation aboutissait aussi à des backgrounds en forme d'accords d'orgue (My Bonnie) et à la « coloration » des thèmes : celle, dramatique, de I Wonder, ou celle, hargneuse, de Tell the truth, rendue à merveille par la voix « growlée » de Margie Hendricks.
Par-delà leur importance « historique » (rencontre de Ray Charles avec le public français, présence des premiers compagnons, exécution de pièces durablement marquantes), ces programmes sont indispensables en ce sens qu'ils attestent - et de façon probante - la nouveauté que l'artiste apportait à la musique de jazz. Ajoutons que le label Jazz Icons, conformément à son habitude, est le garant d'une image et d'un son aussi soignés que possible s'agissant de documents d'un demi-siècle qu'il fallut restaurer et remasteriser. Autant de motifs pour ne pas passer devant le Genius le chapeau sur la tête.
Jacques Canérot - Bulletin du HCF 606 - décembre 2011
1- Quand Ray Charles reviendra en France trois mois plus tard (concerts à Lyon le 19 octobre et au Palais des Sports de Paris les 20, 21 et 22), il sera accompagné par une formation de seize musiciens et jouera de l'orgue Hammond.
JAZZ DANS L’OBJECTIF
Textes et Photographies de Noëlle Ribière
Préface de Claude Bolling
Éditions Du May, 2011
144 pages en format 22 x 28,5 cm, relié avec jaquette. 273 photos noir et blanc
La plupart des albums publiés sont l’oeuvre de professionnels1, et l’on sait que l’art de la photo suppose souvent retouches et mises en scène. Noëlle Ribière n’appartient pas au sérail : c’est une amatrice passionnée qui livre des clichés-coups de coeur d’une rare authenticité. « La photo, écrit-elle dans son avant-propos, c’est ma façon de m’exprimer .[…] J’y mets toutes mes émotions, mes sensations comme le musicien dans son interprétation. » Et de fait, que ce soit sur scène ou dans l’intimité, tous les artistes sont saisis dans leur vérité, chaque instantané transmettant au spectateur la communion entre la photographe et son sujet.
Organisé en dix sections, dont les titres empruntent au langage technique de la photographie (« Déclic », « Révélateur », « Fixateur », « Zoom »…), le classement des clichés suit les moments importants de la vie de l’auteur dans le monde du jazz : le premier concert (Bill Coleman en 1968), la Grande Parade du Jazz de Nice où l’on peut voir et côtoyer les plus grands (Jimmy Witherspoon accompagné par les Savoy Sultans de Panama Francis, Buck Clayton, Barney Bigard, Benny Carter, Vic Dickenson…), les festivals de Montauban (Ray Charles, Fats Domino), d’Andernos (Jo Jones) ou de Monségur (Rhoda Scott), la rencontre, en 1973, avec Claude Bolling (et son orchestre) qui, pour la jeune photographe, « sera le début d’une longue amitié […] et le véritable apprentissage de ma connaissance du jazz » (p. 34). C’est aussi la découverte de groupes prestigieux du gospel (les Stars of Faith, les Barrett Sisters), des chanteurs et chanteuses de blues (Memphis Slim, Mickey Baker, Zora Young) et des danseurs (Bunny Briggs, Jimmy Slyde, Chuck Green), la plupart « immortalisés » lors des concerts organisés par le Hot Club de Limoges, ville où réside l’auteur. On ne saurait oublier les surprenants clichés du chapitre intitulé « Instantanés » (Dorothy Donegan perdant sa perruque sur scène !) et de beaux portraits glanés au fil des pages : Illinois Jacquet, Slim Gaillard et, surtout, Carrie Smith qui fait brillamment la couverture. Pour terminer, Noëlle Ribière consacre un chapitre aux jeunes jazzmen : Paul Chéron, Bernd Lhotzky, Evan Christopher, Steeve Laffont, Julie Saury…, « nouvelle génération de musiciens qui nous affirme avec talent qu’on n’enferme pas le jazz ni aucun art dans un mausolée » (p. 122). Il convient de saluer le travail de mise en page qui sait mettre en valeur chaque tirage (disposition, fond, cadrage), ainsi que certains montages très « cinématographiques » : les gestes de Claude Bolling (p. 39), les expressions de Liz McComb (p. 65), les grimaces de Floyd Smith (p. 75). Enfin, les textes ouvrant chaque chapitre fourmillent d’anecdotes personnelles qui souvent dévoilent avec bonheur la personnalité des musiciens. Ce très riche album révèle le talent d’une passion : celle de la photo alliée à celle du jazz. Les clichés qui le composent font pénétrer le lecteur-spectateur au coeur d’un monde musical où règnent enthousiasme et amitié. C’est aussi un bel hommage rendu à des artistes peu souvent pris par les flashes des professionnels. Noël approche, il faut penser aux cadeaux. Pourquoi pas Jazz dans l’objectif ?
Alain Carbuccia - Bulletin du HCF N°605 - Novembre 2011
PRIX DECOUVERTE 2010 DU HOT CLUB DE FRANCE
CECILE MCLORIN SALVANT
CECILE MCLORIN SALVANT ET LE JEAN-FRANÇOIS BONNEL PARIS QUINTET
Autoproduit
Exactly like you, Moody's mood for love, I've got my love to keep me warm, I got it bad and that ain't good, No regrets, Detour ahead, Frosty moming blues, Social call, Easy to love, I wonder where our love is gone, Anything goes, After you've gone ..
Dans ce CD enregistré à Paris, en novembre 2009 et mars 2010, Cecile Mac Lorin Salvant (21 ans à peine) chante, entourée de Jean-François Bonnel (ts, cl), Jacques Schneck (p), Enzo Mucci (g), Pierre Maingourd (b) et Sylvain Glévarec (d). Et elle chante fort bien, avec une attachante personnalité musicale ! La voix est souple, expressive, capable d'aborder divers registres, avec un rien de sophistication. Dès le premier morceau, on a une bonne image sonore de ce que sera le disque : cohérence stylistique, swing naturel, aisance de chacun tant en solo qu'à l'accompagnement. Le multi-instrumentiste Jean- François Bonnel joue avec simplicité et une énergie sous-jacente quelques chorus au ténor et on l'entend, tout aussi délectable, à la clarinette dans deux titres : Frosty morning blues, After you've gone. Le blues est particulièrement réussi, on regrette qu'il soit le seul de ce genre au programme. Attentif, le piano de Jacques Schneck tient avec musicalité et sobriété le rôle toujours difficile de l'accompagnement. Quant à la section rythmique, à la fois légère et sûre, elle est pour beaucoup dans la réussite de ce premier CD. Voilà un disque équilibré, agréablement conçu autour d'une chanteuse de qualité. Écoutez la première interprétation, Exactly like you, la voix fraîche sur la guitare seule... et vous ne lâcherez plus le disque jusqu'à la fin.
Daniel Janissier ( Bulletin du HCF N°596 - Décembre 2010)
GRAND PRIX 2010 DU HOT CLUB DE FRANCE
STEEVE LAFFONT
SWING FOR JESS;
Le Chant du Monde 2741737
Swing for Jess, Mano, Old Man River, Meggie , Oh samba lec, Speevy, Hunn 0 pani naschella, Billet doux, Libertango, Djazz, R-vingt-six, Ain't misbehavin', I’ll remember April ...
Le guitariste Steeve Laffont est une des grandes révélations du monde du jazz de ces dernières années et, sans doute, le plus grand guitariste qu'on ait pu entendre depuis Stanley Jordan. Ce second recueil, daté de 2009, ne décevra pas ses admirateurs. Nous y retrouvons avec plaisir les mêmes accompagnateurs efficaces, à savoir Serge Oustiakine à la contrebasse (également membre du Thierry Ollé Trio) et Rudy Rabuffetti à la guitare. En outre, dans dix titres sur treize, le trio invite le violoniste Costel Nitescu, se transformant ainsi en quatuor. Chaque intervention de Steeve Laffont est un véritable régal car il possède autant de virtuosité que d'invention, de musicalité que de swing. L'influence de Django Reinhardt reste prédominante dans Old Man River ou Billet doux par exemple, mais Steeve fourmille d'idées personnelles et émaille parfois ses improvisations d'audaces harmoniques et de traits d'humour. Il effectue aussi quelques emprunts à Wes Montgomery (premier « pont » de Meggie ) et à George Benson (vers la fin de Oh samba lec notamment).
Quant à Costel Nitescu, sans égaler sans doute la e et le talent de Stéphane Grappelli dont il est assez proche par le , il se montre un très bon partenaire pour Steeve Laffont, swinguant avec aisance sur les tempos moyens ou rapides, spécialement dans I’ll remember April et R-vingt-six ; par contre, dans les tempos lents, ses solos sont moins jazz et, semble-t-il, quelque peu influencés par Didier Lockwood.
Trois interprétations de ce recueil retiennent l'attention : Hunn 0 pani naschella, Oh samba lec, ainsi que Remember April qui constitue peut-être le sommet du disque. Par ailleurs, R-vingt-six, Billet doux et Swing for Jess swinguent également avec intensité alors que Ain't misbehavin' est plein de fraîcheur et de délicatesse. En dépit des quelques réserves formulées précédemment quant à la prestation du violoniste, les deux ballades Meggie Style et Djazz sont interprétées avec beaucoup de sensibilité. Notez un court et excellent solo de Serge Oustiakine dans le premier titre et un joli contre-chant « d'inspiration ique » de Costel Nitescu dans le second.
Constatons au passage que ces deux compositions signées respectivement de Rabuffetti et Laffont se rapprochent davantage du jazz contemporain que du Quintette du Hot Club de France. En conclusion, malgré deux ou trois interprétations moins prenantes, comme Speevy et Libertango, l'acquisition de ce CD se justifie sans la moindre hésitation.
Raphaël Aubin ( Bulletin du HCF N°588, page 13 - Février 2010)
PRIX INEDITS 2010 DU HOT CLUB DE FRANCE
ELLA FITZGERALD
TWELVE NIGHTS IN HOLLYWOOD
Verve B0012920-02
CD 1 : Introduction, Lover corne back to me, Too close for comfort, Little white lies, On the sunny side of the street, Ac-cent-tchu-ate the positive, Baby won't you please conne home, I found a new baby, On a slow boat to China, My heart belongs to daddy, Perdido, l've got a crush on you, But not for me, You brought a new kind of love to me, Across the alley from the Alamo, l'm glad there is you, 'Round midnight, Take the A train, Mr. Paganini. CD 2 : Nice work if you can get it, I can't get started, Give me the simple lite, Caravan, One for my baby, Lorelei, A-tisket a-tasket, Witchcraft, Gone with the wind, Happiness is a thing called Joe, It's de-lovely, The lady is a tramp, That old black magic, Luliaby of Birdland, Ella introduces the band, Imagination, Blue moon, Joe Williams' blues . CD 3 : The lady's in love with you, Love is here to stay, Corne rain or conne shine, Anything goes, This could be the start of something big, Candy, Little girl blue, You're driving me crazy, It's all right with me, Just squeeze me, 'S wonderful, How high the moon, Deep purple, In the wee small hours of the morning, Mack the Knife, Exactly like you, Rock it for me, Stompin' at the Savoy, Love for sale, St. Louis blues. CD 4 : Ail of me, liard hearted Hannah, Broadway, My kind of boy, D had to be you, C'est magnifique, How long has this been going on, When your lover has gone, Taking a chance on love, Good morning heartache, Clap hands here cornes Charlie, Hallelujah I love him so, Angel eyes, 01' man Mose, Teach me tonight, Ella's twist, Too dam hot, Bewitched, Bill Bailey .
Ces quatre CD, glissés entre les pages cartonnées d'un livre luxueux bien illustré, proposent une série d'interprétations inédites de l'immense chanteuse, captée en direct au club Crescendo à Hollywood. Le contenu des trois premiers albums date d'un engagement allant du 11 au 21 mai 1961 où Ella est accompagnée par Lou Levy (p), Jim Hall (g), Wilfred Middelbrooks (b), Gus Johnson (d). Son impresario, Norman Granz, enregistrait scrupuleusement toutes les prestations d'Ella et, d'ailleurs, il fit paraître à l'époque un LP ("Ella à Hollywood" - Verve 4052 ou Barclay 80169) composé d'extraits de ces concerts de mai 1961 au Crescendo.
Une demi-douzaine de titres de ce LP se retrouvent dans la présente série, mais il s'agit de versions différentes, d'ailleurs assez proches, à l'exception de Take the A train. Pris en direct dans un environnement idéal, ces enregistrements d'une Ella Fitzgerald en grande forme offrent une suite d'interprétations en majorité enthousiasmantes. Les quelques morceaux sentimentaux, peu propices au swing, restent toujours magnifiquement chantés. Dès le début du CD 1, la partie vocale swingue de manière exceptionnelle sur Lover come back to me d'une jubilation irrésistible, tout comme sur Too close for comfort à la spontanéité étonnante. Ella swingue pareillement sur le tempo semi-lent de Little white lies et plus encore de On the sunny side of the street. Dans Ac-centtchu-ate the positive, lorsqu'elle passe en tempo plus rapide, elle emporte l'auditeur. Son vocal paresseux de Baby won't you please come home et de My heart belongs to daddy dégage le plus empoignant des feelings.
À noter trois titres, superbement enlevés et qui ne se trouvent nulle part ailleurs dans sa discographie disponible : I found a new baby, On a slow boat to China et Across the alley from the Alamo. Les plages sentimentales, de I've got a crush on you à 'Round midnight, demeurent moins intéressantes malgré la perfection du vocal. En revanche, trois plages appartiennent à la catégorie swing fou, avec scat aussi intarissable qu'étourdissant : Perdido, Take the A train et Mr. Paganini. Irrésistible ! Forcément dans la même veine, le CD 2 apporte son lot d'interprétations superbement chantées par l'incomparable Ella, à commencer par Nice work if you can get it, d'une aisance totale. Son vocal se déroule en swinguant implacablement et de façon enjouée (Give me a simple life, The lady is a tramp), pétillante (A-tisket a-tasket, Lullaby of Birdland), obstinée (Caravan, That old black magic), vibrante (Gone with the wind) et, bien sûr, avec brusquement la plongée dans une folie en ouragan (Joe Williams' blues). Le CD 3 renferme également une riche provision de musique emballante. Il s'ouvre sur un titre qu'Ella enregistre pour la première fois et qu'elle balance avec allégresse : The lady's in love with you. Deux autres morceaux aussi ne figuraient pas jusque-là dans sa discographie : Candy, nonchalant, et Deep purple, du genre langoureux. Ella chante et swingue tantôt avec une euphorie contagieuse (This could be the start of something big, You're driving me crazy,'S wonderful), tantôt avec une souplesse, une détente uniques (Just squeeze me, Rock it for me, Love for sale).
Le CD compte plusieurs interprétations déchaînées, étourdissantes, terriblement swinguées, où sa maîtrise vocale, son énergie et son brio dans l'improvisation scat font merveille : How high the moon, Mack the knife, Stompin' at the Savoy, St. Louis blues. Le CD 4, titré "Ella returns to Hollywood", a été enregistré à nouveau au club Crescendo, un an après les trois précédents, plus précisément les 29 et 30 juin 1962. À l'accompagnement, seul le contrebassiste conserve son poste, entouré maintenant par Paul Smith au piano et Stan Levey à la batterie. Là encore, Ella reste au premier plan d'un bout à l'autre. Sur les 19 titres de l'album, seuls Ol'man Mose et Bill Bailey furent publiés à l'époque sur 45 tours Verve 70.532, ils figurent ici dans une prise différente. Dans les deux, Ella swingue furieusement en se livrant à diverses imitations dans le second titre. Par ailleurs, deux morceaux apparaissent pour la première fois dans sa discographie : l'excellent My kind of boy, coulant avec aisance, et It had to be you, quelque peu langoureux.
Cette série ne compte pas d'interprétations euphoriques évoluant vers un déferlement de scat, mais offre tout de même une belle ration de swing varié. Relevons : All of me, Broadway et Taking a chance of love, dans un bondissant ; Hard hearted Hannah et Too dam hot, au dynamisme obstiné ; When you lover has gone et C'est magnifique, au ton paresseux mais s'animant joliment dans le second titre ; Hallelujah I love him so, à la jubilation contagieuse. Ella vous invite à passer quatre bonnes heures en sa compagnie pour l'écouter dans des interprétations inédites. Voilà une occasion qui ne se refuse pas. Sous aucun prétexte.
André Vasset ( Bulletin du HCF N°588, page 11 - Février 2010)
L’Harmattan, 2009 - (21,5 x 13,5 cm) -
296 pages. Quelques fac-similés de documents.
Broché, En français.
ISBN 978-2-296-10134-0
Dans cet ouvrage, issu de sa thèse de doctorat, l’auteur bat en brèche l’affirmation largement répandue que le jazz, musique « négro-judéo-anglo-saxonne », n’avait pas droit de cité sous l’Occupation et que son écoute et sa pratique ne pouvaient exister que dans la clandestinité. Or les faits, analysés à partir des documents d’époque (articles de journaux, publicités pour les concerts, programmes radiophoniques…), viennent démentir ces allégations. Gérard Régnier organise sa démonstration en quatre grandes parties :PRIX VIDEO 2010 DU HOT CLUB DE FRANCE
ERROLL GARNER
LIVE IN '63 and '64
Jazz Icons - Naxos 2.119021. - Noir et blanc
Durée mentionnée : 60 min. Toutes zones
Belgium 1963 : Erroll's theme, I get.a kick out of you, Fly me to the moon, Sweet and 'm'y, It might as well be spring, Misty, Where or when, Thanks for the memories. Sweden 1964 : Effoll's theme, When your lover has gone, Fly me to the moon, Mambo Erroll, My funny Valentine, One-note samba, Where or when, Thanks for the memories, Erroll's theme .
Lors des deux mini-récitals que comporte ce recueil, Erroll Garner est entouré de ses accompagnateurs réguliers de l'époque : Eddie Calhoun à la basse et Kelly Martin à la batterie. Même si la lecture de ce double programme fait apparaître trois titres répétés (on ne tiendra pas compte du bref indicatif Erroll's theme), ce constat ne doit pas être dissuasif : Garner ne pratique pas le « copié-collé ».
La chronique abordera conjointement les deux concerts bien qu'ils différent par le contexte et le filmage. Le concert belge a été enregistré dans un studio de télévision devant un public restreint installé près du trio et met à l'écran un Garner dont le visage et les mains sont captés majoritairement en gros plans, voire très gros plans : cette proximité, qui modifie les habitudes de vision du spectateur en salle, rend le récital fort attrayant. Le concert suédois, également filmé dans un studio en public (mais est-ce si sûr, malgré applaudissements et saluts ?) offre une représentation plus traditionnelle, mais on y voit davantage les accompagnateurs et un pianiste moins fragmenté . Faisant suite à l'indicatif, I get a kick installe d'emblée le swing au sein du concert de 1963. La réussite de cette interprétation n'est pas seulement due au traitement aussi détendu que possible du tempo vif : elle provient des fameux décalages entre les deux mains (ex. 1er chorus sauf « pont ») et du non moins fameux jeu de main gauche marquant les quatre temps de la mesure à la manière d'un guitariste (ex. majorité du 2e chorus).
Ce dernier « procédé », mis en oeuvre dans toutes les interprétations de façon sporadique, anime avec maestria l'intégralité du placide It might as well be spring et des deux impétueux Where or when. L'extrême élasticité des accords de main gauche engendre un swing 'lazy' et aéré sur le premier titre, tandis que le second est l'un des sommets du recueil avec deux chorus de variations inventives — différentes d'une version à l'autre — et l'habituel arrangement final pour trio avec son découpage si percussif. Même efficacité dans les excellents Sweet and lovely et When your lover has gone où le pianiste, après les exposés chantants des mélodies, déploie de subtiles broderies avec des décalages d'un swing inouï et conclut le premier titre sur un arrangement plein d'humour.
Car l'humour est un des traits du tempérament musical de Garner : en témoignent les deux versions de Thanks for the memories aux citations inattendues (Clair de lune de Debussy, valse de Chopin, valse de Johann Strauss fils, Prélude en do dièse mineur de Rachmaninov — concert de 1963 seulement —, Rêve d'amour de Listz), renforcées par des gags (le bassiste se sert de l'archet pour répondre au piano avec solennité, le batteur utilise les baguettes pour mimer le chef d'orchestre et le violoniste). À entendre et à lire les commentaires de toujours, il est d'usage de regretter chez Garner ses enjolivements sur les ballades en tempo lent : introductions rhapsodisantes, accords arpégés, trémolos, etc. Sans doute My funny Valentine et les deux versions de Fly me to the moon sont-elles imprégnées de ce climat « piano-cocktail », mais la constante musicalité du jeu en relève l'intérêt ; de même il serait dommage de faire l'impasse sur le célébrissime Misty : non seulement l'exposé séduit par son élégance, mais, passé ce chorus, un souple balancement s'installe à la reprise au « pont ».
On ne s'inquiètera pas trop non plus de titres comme Mambo Erroll et One-note samba : le mambo, fréquent dans la discographie du pianiste, est traité sur le mode humoristique et le rythme de samba n'affecte que l'exposé du thème et son (bref) rappel final. Indépendamment de la musique, l'attitude de Garner offre à elle seule un spectacle que le DVD restitue avec bonheur : facétieux, les yeux parfois levés au ciel, il marmonne en soutiant des mots inintelligibles, manifeste son plaisir d'être en scène par des mimiques, des coups d'oeil au public, des regards complices à ses partenaires, et semble s'étonner de sa musique comme si elle s'engendrait à son insu ou comme si jouer du piano revenait à jouer avec le piano.
Un recueil recommandé sans réserve, d'autant que la série Jazz Icons, fidèle à ses habitudes, s'attache à une reproduction visuelle et sonore de qualité.
Jacques Canérot ( Bulletin du HCF N°587, page 23 - Janvier 2010)
TRAVELING BLUES,
The Life and Music of Tommy Ladnier
par Bo LINDSTRÖM et Dan VERNHETTES
Jazz’Edit, 2009..(28,5 x 26 cm)
216 pages. 302 photos noir et blanc et couleur
Broché, En anglais
ISBN 978-2-9534-8310-9
Il convient de saluer le travail accompli par les auteurs pour mener à bien cette biographie du trompettiste Tommy Ladnier. Rien en effet n’a échappé à leur enquête et le moindre détail concernant la vie et l’œuvre du musicien louisianais est ici consigné et commenté.
De la naissance (le 28 mai 1900) au décès prématuré (le 4 juin 1939), quatorze chapitres marquent les grandes étapes du parcours professionnel et privé de Ladnier : les débuts dans l’orchestre local de Mandeville, sa ville natale, les premiers engagements à Chicago , puis, en 1925-26 la tournée européenne avec la revue Chocolate Kiddies et l’orchestre de Sam Wooding (1) , le retour à New York et le séjour dans l’orchestre de Fletcher Henderson , un second voyage en Europe (1928-30) , le passage dans l’orchestre de Nobler Sissle , la collaboration avec Sidney Bechet au sein des New Orleans Feetwarmers , enfin les derniers enregistrements organisés et supervisés par Hugues Panassié.
À la profusion de renseignements donnés s’ajoute l’analyse musicale, parfois très technique, de toutes les interprétations où figure Tommy Ladnier, avec le relevé (par Dan Vernhettes) des solos les plus importants. L’ouvrage s’attache aussi à décrire, avec la même minutie, le contexte historique, social et musical dans lequel le trompettiste a vécu, de même qu’il trace le portrait de tous les musiciens qu’il a côtoyés ou qui l’ont influencé.
Quant à l’iconographie, elle est d’une exemplaire richesse : photographies d’orchestres et de musiciens et reproductions de documents rares abondent à chaque page. Enfin les 189 enregistrements (2) auxquels participa Tommy Ladnier font l’objet, à la fin du volume, d’une discographie qui précise, pour chacun d’entre eux, titre, date, personnel, nombre de prises, etc.
Conclusion : un livre essentiel qui se doit de figurer dans la bibliothèque de tout véritable amateur de jazz. .
JAZZ DANS L’OBJECTIF
Textes et Photographies de Noëlle Ribière
Préface de Claude Bolling
Éditions Du May, 2011
144 pages en format 22 x 28,5 cm, relié avec jaquette. 273 photos noir et blanc
La plupart des albums publiés sont l’oeuvre de professionnels1, et l’on sait que l’art de la photo suppose souvent retouches et mises en scène. Noëlle Ribière n’appartient pas au sérail : c’est une amatrice passionnée qui livre des clichés-coups de coeur d’une rare authenticité. « La photo, écrit-elle dans son avant-propos, c’est ma façon de m’exprimer .[…] J’y mets toutes mes émotions, mes sensations comme le musicien dans son interprétation. » Et de fait, que ce soit sur scène ou dans l’intimité, tous les artistes sont saisis dans leur vérité, chaque instantané transmettant au spectateur la communion entre la photographe et son sujet.
Organisé en dix sections, dont les titres empruntent au langage technique de la photographie (« Déclic », « Révélateur », « Fixateur », « Zoom »…), le classement des clichés suit les moments importants de la vie de l’auteur dans le monde du jazz : le premier concert (Bill Coleman en 1968), la Grande Parade du Jazz de Nice où l’on peut voir et côtoyer les plus grands (Jimmy Witherspoon accompagné par les Savoy Sultans de Panama Francis, Buck Clayton, Barney Bigard, Benny Carter, Vic Dickenson…), les festivals de Montauban (Ray Charles, Fats Domino), d’Andernos (Jo Jones) ou de Monségur (Rhoda Scott), la rencontre, en 1973, avec Claude Bolling (et son orchestre) qui, pour la jeune photographe, « sera le début d’une longue amitié […] et le véritable apprentissage de ma connaissance du jazz » (p. 34). C’est aussi la découverte de groupes prestigieux du gospel (les Stars of Faith, les Barrett Sisters), des chanteurs et chanteuses de blues (Memphis Slim, Mickey Baker, Zora Young) et des danseurs (Bunny Briggs, Jimmy Slyde, Chuck Green), la plupart « immortalisés » lors des concerts organisés par le Hot Club de Limoges, ville où réside l’auteur. On ne saurait oublier les surprenants clichés du chapitre intitulé « Instantanés » (Dorothy Donegan perdant sa perruque sur scène !) et de beaux portraits glanés au fil des pages : Illinois Jacquet, Slim Gaillard et, surtout, Carrie Smith qui fait brillamment la couverture. Pour terminer, Noëlle Ribière consacre un chapitre aux jeunes jazzmen : Paul Chéron, Bernd Lhotzky, Evan Christopher, Steeve Laffont, Julie Saury…, « nouvelle génération de musiciens qui nous affirme avec talent qu’on n’enferme pas le jazz ni aucun art dans un mausolée » (p. 122). Il convient de saluer le travail de mise en page qui sait mettre en valeur chaque tirage (disposition, fond, cadrage), ainsi que certains montages très « cinématographiques » : les gestes de Claude Bolling (p. 39), les expressions de Liz McComb (p. 65), les grimaces de Floyd Smith (p. 75). Enfin, les textes ouvrant chaque chapitre fourmillent d’anecdotes personnelles qui souvent dévoilent avec bonheur la personnalité des musiciens. Ce très riche album révèle le talent d’une passion : celle de la photo alliée à celle du jazz. Les clichés qui le composent font pénétrer le lecteur-spectateur au coeur d’un monde musical où règnent enthousiasme et amitié. C’est aussi un bel hommage rendu à des artistes peu souvent pris par les flashes des professionnels. Noël approche, il faut penser aux cadeaux. Pourquoi pas Jazz dans l’objectif ?
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